“La Mouche” ou les aléas de la téléportation

Par Marie Baudet, journaliste culture | scènes

Publié lalibre.be le 29-10-2021 à 07h28

 

Christian Hecq, Valérie Lesort et leurs complices dans une fable rétrofuturiste.

 

Robert, quinquagénaire aux faux airs de gamin bougon mâtiné de pépé ronchon, forme avec sa mère une drôle de paire. Dont les habitudes (Ménie Grégoire à la radio, récolte de radis vendus au marché…) vont être bousculées par une série d’incidents.

 

C’est que ce fils “un peu spécial” travaille en solitaire à mettre au point, dans son antre empli de machines, un dispositif permettant de téléporter la matière. Après l’expérience tentée avec succès sur un nain de jardin, pourquoi ne pas tenter la téléportation du chien ? Voire d’autres êtres vivants si affinités…

 

Adapté par Valérie Lesort et Christian Hecq de la nouvelle The Fly de George Langelaan – dont David Cronenberg tira le fameux film éponyme -, le spectacle met le théâtre et ses artifices au service d’un récit où la science-fiction se pique de comédie loufoque teintée d’une pointe d’amertume.

 

Élasticité légendaire

Téléportation, tâtonnements et dérapages forment la trame de cette fable où se tissent les ficelles joliment tressées du burlesque et les fils plus sombres de la satire. Le tout dans une esthétique rétrofuturiste évoquant autant les Deschiens et les grandes heures de Striptease que les atours du steampunk et l’imaginaire lié à La Métamorphose de Kafka.

 

La Mouche peut compter sur l’élasticité légendaire de Christian Hecq (brillant sociétaire belge de la Comédie-Française), ponctuant la pièce d’accents cartoonesques. Il retrouve ici Jan Hammenecker – son complice de jadis notamment dans les Revues de Charlie Degotte -, irrésistible en inspecteur de police porté sur la Suze et enquêtant sur la disparition de Marie-Pierre…

 

Son interprète Valérie Lesort, également plasticienne, cosigne avec Christian Hecq l’adaptation et la mise en scène de ce spectacle créé en janvier 2020 aux Bouffes du Nord et couronné de trois Molière.

 

Sacrée meilleure comédienne dans un spectacle de théâtre public, Christine Murillo campe une Odette à la fois caricaturale et tout en nuances, jusqu’au geste final nouant le destin de son inventeur inadapté de fils. Rôle pareillement récompensé pour le décidément – et ici littéralement – extra-ordinaire Christian Hecq.

 

Rire et frémir

Complétant ce palmarès, le Molière de la création visuelle salue à juste titre ce dispositif d’une redoutable efficacité dramaturgique. La scénographie d’Audrey Vuong et les lumières de Pascal Laajili habillent un univers où nul détail n’est laissé au hasard, des costumes et accessoires à la bande-son en passant par la vidéo.

 

Cocktail de poésie noire, d’humour grinçant, de grand-guignol saupoudré de tendresse, l’ensemble fait habilement rire et frémir. Après s’être posée au Palais des Beaux-Arts de Charleroi puis au Centre