L’Interview de Lucie Yerlès et Gaspar Schelck

Propos recueillis par Françoise Laeckmann

Pourquoi le public aime tant voir un·e artiste prendre des risques ? Qu’est-qui crée l’empathie entre ce public et le·la circassien·ne ? Le Solo est une forme hybride et multidisciplinaire, à la frontière entre le spectacle de cirque et la conférence gesticulée. Comique, caustique – et très instruit –, il dévoile les effets du cirque sur notre cerveau, démonstration à l’appui.

 

Rencontre au sommet avec Lucie Yerlès, conceptrice du spectacle avec Gaspar Schleck, aussi à la lumière et aux accroches. À cinq mètres au-dessus du sol, elle maîtrise aussi bien le tissu aérien que les neurosciences !


Qui est Lucie Yerlès, la « circonférencière » au tissu aérien ?
« Une acrobate d’abord ! (rires). Je pratique aujourd’hui le tissu aérien mais mon parcours a été marqué par de nombreuses ruptures. Passée par la France, le Québec et la Belgique –
mon pays d’origine –, j’ai à la fois un parcours d’artistes de cirque aérien et un parcours de psychologue (ULB). C’est par la grande école du cirque du Québec que j’ai commencé mon histoire de circassienne avant d’enchaîner avec un bac en psychologie à l’Université libre
de Bruxelles à la suite d’une fracture de la cinquième vertèbre lombaire. Cet « heureux » accident – si l’on peut dire – m’a amené à une étude scientifique réalisée avec le Cirque du Soleil : qu’est-ce qui amène le public à un état d’émerveillement pendant un spectacle
de cirque ? Comment ça fonctionne dans le cerveau du spectateur ? Aujourd’hui, je suis artiste de scène, formatrice en tissu aérien et créatrice.


Le Solo raconte ce chemin, un peu, beaucoup mais pas tout à fait… Et comment, à partir d’événements de vie complexes, un peu dramatiques, on peut créer des nouveaux espaces,
des nouveaux récits et de nouvelles formes, singulières, issues d’un parcours chaotique, très peu linéaire et très hybride. C’est aussi une ode aux chemins de traverse.

 

Par ailleurs, on ne renie pas sa famille, et moi j’ai grandi dans le milieu théâtral donc je suis vraiment une bâtarde du cirque et du théâtre, et le cirque contemporain permet une
ouverture à plein d’autres disciplines comme la danse, la musique, le théâtre.
Dans Le Solo, c’est le cirque et les neurosciences, et c’est ça qui me passionne. »


Et plus particulièrement les émotions qui se jouent dans le cerveau du public confronté à un spectacle de haute voltige ?
« Oui, ce spectacle – que je n’ai vu nulle part ailleurs – j’en ai rêvé et je l’ai fait. Il mêle la  vulgarisation scientifique – la transmission du savoir, qui est très importante à mes yeux – et la
performance. Et si je parle des émotions et fais faire la connaissance de nos cortex préfrontal et cérébral, notre amygdale, notre hippocampe, et notre thalamus au spectateurs.rices, c’est
pour mieux disséquer les mécanismes de réception à l’oeuvre en chacun.e de nous. Petit à petit, le public se rend compte que chacune de mes actions, ou chacune de mes acrobaties au tissu aérien, sont éclairantes, mais d’un tout autre point de vue… D’abord pour le double sens de mes ratages qui jusqu’à la fin questionnent, ensuite pour ce que je raconte d’une mécanique toute faite ou de schémas scientifiquement prouvés pour arriver à la performance. »

 

Au final, pourquoi le public prendt-il du plaisir à voir quelqu’un prendre des risques ?
« Parce qu’il y a plein de choses qui se passent dans le cerveau ! Qui activent les zones de plaisir et ça, c’est plein de réponses et plein d’explications qu’on trouve dans le spectacle… Le Solo est une super conférence circassienne, pleine de cabrioles mentales où je combine mes compétences de psy, pédagogue et acrobate pour expliquer le fonctionnement de nos émotions, comment ça se passe, pourquoi on a envie de se retrouver pour aller voir
des spectacles et ressentir des émotions ensemble, comment ces émotions sont conscientes chez les créateurs de spectacles : est-ce que c’est parce que j’ai peur que mon coeur bat la chamade et que ma respiration se bloque ou est-ce que c’est parce que mon coeur bat la
chamade et bloque ma respiration que j’ai peur ? Pourquoi éprouve-t-on du plaisir à voir un  artiste frôler le danger, voire risquer sa vie sur scène ? Sommes-nous des êtres dotés  d’empathie ou d’irrécupérables pervers n’attendant que la chute du héros pour combler notre
soif de spectaculaire ? Dans Le Solo on apprend, on rigole et on vit des émotions folles et en plus on comprend pourquoi on les vit ! »