« Parti en fumée » : Othmane Moumen fait un tabac

Par Catherine Makereel (13/03/2024)

Dans un spectacle doux et freudien, Othmane Moumen a créé une marionnette de son père afin d’orchestrer des adieux pré-mortem avec cet homme consumé à petits feux par la cigarette. Une pièce d’une poésie brûlante.

 

En psychanalyse, on parle de tuer le père, mais comment fait-on quand celui-ci est increvable ? Tel est le nœud freudien dont hérite Othmane Moumen. Il y a sept ans, le diagnostic tombe : son père a un cancer des poumons en stade 4… le stade terminal. Depuis, il a été opéré, on lui a retiré un poumon. Et aujourd’hui, ce père est toujours là. Un sursis inespéré. Pourtant, il continue à fumer clope sur clope. Ces prolongations imprévues, le comédien les met aujourd’hui à profit pour tenter de percer les mystères d’un paternel pudique avec qui il n’a jamais vraiment parlé.

 

En attendant que ce père expire, il va lui faire expirer cette fumée qui, depuis 60 ans, lui encrasse les poumons, mais il va aussi lui faire exprimer, par le biais d’une marionnette, tout ce qu’il n’a jamais eu l’occasion de raconter sur sa vie, son parcours d’immigré venu du Maroc, sa carrière de chauffeur à la Stib qui lui a brisé le dos, sa dépendance à la cigarette, etc. Mise en scène par Jasmina Douieb, la pièce se déploie tout en pudeur pour faire vivre cet homme profondément secret. Avec très peu de mots mais un art maîtrisé du mime et du théâtre visuel, Othmane Moumen se glisse avec une infinie tendresse dans les babouches et le peignoir du vieil homme. Grâce au travail de masques et de marionnettes, le comédien orchestre un dialogue poignant avec cet être insaisissable et taiseux.

 

Illusions perdues

Par tableaux d’une poésie indicible, la pièce décline des bribes de vie. Avec seulement quelques objets, manipulés par son corps élastique, Othmane Moumen évoque un vol en avion, une arrivée sous la neige à Bruxelles, des vacances à la plage. Avec lui, une paire de cigarettes se met à faire des claquettes pour évoquer les illusions perdues d’un homme qui se serait bien imaginé en Gene Kelly. Avec lui, la fumée se transforme en nuages métaphysiques sur lesquels un homme accomplit son dernier voyage. Avec lui, les traits d’une marionnette s’animent miraculeusement. Il se dégage une émotion magique de ce spectacle tout doux, bercé notamment par la voix de la chanteuse égyptienne Oum Kalthoum. On y esquisse des pas de danse qui englobent ce que les mots ne peuvent pas, on y interroge le sentiment de mélancolie, on questionne l’hérédité, mais surtout, on y joue une drôle de course avec le temps, dans une forme de réconciliation père-fils pré-mortem. Troublant !