Arrière-arrière-petite-nièce d’Alphonse Daudet, Célimène est née à Aix-en-Provence, mais a aussi, par sa mère, des racines haïtiennes. À l’orée d’une riche carrière pianistique, elle ouvre son cœur pour un retour aux sources chargé d’émotion.
Avec « Vers la flamme », où les partitions s’érigent en déclarations enflammées, Célimène Daudet, se retrouve aux platines d’un répertoire « classique » passant, avec douceur et grande intelligence, d’un trop méconnu « Chopin noir » Ludovic Lamothe, et ses œuvres aux inspirations romantiques, à un Scriabine aux accents mystiques et à un Liszt plutôt sombre. Plage de poésie musicale amoureuse en vue !
Célimène Daudet, vous dites avoir des souvenirs de tableaux haïtiens décorant les murs de votre chambre de petite fille. Pensez-vous que ce monde pictural de votre enfance ait influencé votre capacité à aborder les couleurs en musique ?
C’est vrai que les tableaux qui se trouvaient dans ma chambre d’enfant et dans lesquels je me perdais dans l’imaginaire et les rêves m’ont permis d’entretenir un lien fort avec la culture haïtienne qui est une partie de mon histoire, Haïti étant le pays d’origine de ma mère. Les tableaux colorés, qui étaient finalement mes seuls liens avec cette île lorsque j’étais enfant, ont eu pour vertu d’éveiller en moi une forme de curiosité vis-à-vis de cette culture que j’ai donc eu envie de découvrir. Les touches blanches et noires de mon instrument, parfaites analogies à la dualité de mes propres racines sont, pour moi, l’occasion de délicieusement immerger l’auditoire dans une culture haïtienne.
Dans le registre de la couleur, est-ce l’élément essentiel sur lequel vous êtes polarisée dans votre interprétation, au-delà de la partition ?
Il est vrai que la notion de couleur et les mondes de couleurs que l’on peut entendre dans certaines œuvres m’ont toujours fascinée, comme cette idée d’ouvrir une palette infiniment colorée. Il est vrai également que chez Debussy, Messiaen ou bien encore Liszt et Debussy, la notion de couleur est primordiale. C’est du texte qu’elles émergent, grâce aux harmonies riches proposées, à la manière de mettre en espace les sons, à la façon d’utiliser la pédale du piano… Tout cela permet de faire naître ce formidable univers de la musique, cet art de l’instant. Et je parle bien évidemment de couleurs sonores et non picturales. J’y entends également des matières, des textures sonores, une infinie possibilité de dégradés… Un peu telle une sorte de métamorphose permanente de la matière, un ensemble qui serait totalement organique.
Pour aller au plus près de votre culture haïtienne, vous avez créé, depuis 2017, le Haïti piano Project, un festival où se mêlent concerts et ateliers musicaux pour les enfants… Ce projet a-t-il été le point de départ de votre volonté de rendre hommage aux compositeurs haïtiens, leur consacrant votre dernier album, « Haïti mon amour » ?
Bien que ma mère soit d’origine haïtienne, c’est un pays que je connaissais très peu. Cet album est avant tout, comme vous le dites, un hommage. Ensuite, c’est le souhait de partager avec le plus grand nombre de personnes des partitions que j’ai pu découvrir au gré de mes voyages en Haïti et des rencontres faites sur place. On m’y a offert des partitions qui m’ont incitée à réaliser des recherches. Là, j’ai découvert de véritables pépites musicales. Petit à petit, j’ai plongé dans un univers totalement nouveau, celui des compositeurs haïtiens de la fin du XIX e et du début du XX e siècles, répertoire qui regorge de choses magnifiques oubliées ou tout simplement inconnues. Est né en moi ce désir de mettre en valeur tout autant l’œuvre que le récit qu’elle porte. On parle souvent des peintres ou des écrivains haïtiens, mais les compositeurs sont injustement méconnus et je me suis sentie ce devoir de promouvoir cette culture musicale haïtienne hors de ses propres frontières. Jouer des compositeurs de cette île me permettait d’interroger également sur le fait que ces partitions étaient le fait d’une minorité, en l’occurrence des compositeurs noirs rarement mis en valeur dans la littérature pianistique.
Parmi ces compositeurs haïtiens, on retrouve Ludovic Lamothe, surnommé le « Chopin noir », et dont les compositions sont en effet emplies de romantisme. Comment avez-vous découvert ce compositeur et êtes-vous entrée dans ses œuvres ?
Je l’ai découvert grâce au pianiste haïtien David Bontemps que j’avais invité à mon festival et qui, pour l’occasion, avait joué des œuvres de Ludovic Lamothe. J’avais trouvé ces pièces magnifiques avec l’influence de Chopin qui est certes très présente mais qui se voit combinée à quelque chose de très personnel, une sorte de métissage entre l’influence de la musique classique occidentale et cette capacité à faire chanter son piano avec ce bel canto propre à Chopin doublé d’une approche rythmique qui n’est pas sans rappeler la musique traditionnelle haïtienne et ce balancement typique des danses de l’île. Il y a dans la musique de Ludovic Lamothe une véritable rencontre entre deux mondes que j’aimerais partager en espérant qu’elle puisse toucher celles et ceux qui l’écouteront autant que moi j’ai pu l’être.
F.L.