“Home” est le terme qui désigne une maison de retraite en Belgique. “Home” est un anglicisme qui signifie foyer, chez-soi.
Une table, trois chaises, une horloge, un fauteuil, une radio. C’est une salle commune. Un espace pour être ensemble, un espace où l’on est seul. Il ne se passe rien. On attend le·la médecin, un appel, ou une visite.
Chorégraphie poétique dans un EHPAD comme un autre. Dans un dispositif étonnant, de très jeunes comédien·ne·s incarnent nos aîné·e·s avec délicatesse et pertinence. Les corps se transforment dans un geste de pure théâtralité, sobre et respectueux de l’enquête qu’à menée la metteuse en scène dans ces lieux. Une première œuvre sans concession, qui fera rire et pleurer, tant, le réel dans ce cas, nous touche dans notre condition d’humain, inexorablement vieillissant.
Dans ce monde en vase clos, où le temps ne semble avoir de prise que sur les corps, trois résident·e·s affrontent les joies et les tragédies de leur quotidien. Que faire quand les plantes vertes se transforment en forêt de sapins, que la tempête arrache les murs et qu’il n’y a personne pour servir le prochain repas ? À partir d’une recherche documentaire menée au sein d’une maison de retraite médicalisée à Ixelles, trois jeunes acteur·rice·s nous restituent l’inquiétante étrangeté propre à ces lieux.
…Home, pépite signée Magrit Coulon… Un travail d’ombre et de lumière, d’humour et d’humilité, d’engagement et de nuance, qui fait entendre jusqu’aux disparités sociales des interlocuteurs. Une vraie, une grande, une importante découverte.
La Libre Belgique
…Audacieux, drôle, émouvant, le projet de Magrit Coulon est un petit bijou…
Le soir
3 acteurs sur scène dans un décor de réfectoire minimaliste de maison de retraite.
3 acteurs non grimés. Ils sont jeunes mais leurs corps sont habités du maintien et des rictus de vieillards. C’est hallucinant, un rien dérangeant… Des tics et des succions aux crispations et aux tremblements de leurs membres, ils sont asservis à leur rôle de pensionnaires en fin de vie.
Tout obéit à une temporalité suspendue. La vie s’écoule au rythme de la progression de ces corps fatigués, voûtés, dans un ralenti souligné par l’immense horloge donnant l’heure en temps réel.
Un temps qui s’étire entre la gestion des déplacements et l’attente des rituels quotidiens, les repas, les visites régulièrement annulées.
Une attente perceptible dès le début qui fait écho à celle des spectateurs, pressentis comme des visiteurs. Une observation réciproque où le moindre mouvement, le moindre bruit devient événement et suscite des réactions non pas verbales mais des pincements de lèvres, des haussements interrogatifs de sourcils, obligeant l’assistance à une concentration sur ces mouvements imperceptibles.
Paradoxalement, les accidents majeurs, les chutes, la dégradation de l’environnement sont dédramatisés, dilués dans l’indifférence générale, ce qui introduit une forme d’humour défensif.
Pour obtenir un tel résultat, les acteurs ont côtoyés des personnes âgées dans une maison de retraite d’Ixelles et ont créé avec eux des liens par une véritable rencontre. Imprégnés de l’atmosphère de lente décrépitude de ces lieux d’assistance pour personnes à mobilité réduite qui ne sont autre que des mouroirs, ils ont parfait la maîtrise de leurs mouvements au moyen de la méthode Feldenkreis. Sans copier quiconque, sans caricaturer, ils ont créé des personnages originaux avec les résistances de leur propre corps, nous renvoyant à une lecture documentariste.
Diplômée de l’Insas, Magrit Coulon, la metteuse en scène, s’intéresse à la gestion du temps comme outil d’architecture scénique depuis son mémoire de fin d’études. « Home – morceaux de nature en ruine » a été récompensé du prix Maeterlinck de la meilleure Découverte. Sur une dramaturgie de Bogdan Kikena avec qui elle a fondé sa compagnie Wozu ?, elle capte avec une maestra incontestable les infimes soubresauts de ces vies en suspension et nous aspire lentement, le temps d’une représentation, dans des espaces temporels que l’on a instinctivement tendance à éviter.
Chapeaux bas à ces artistes, Carol Adolff, Alice Borgers, Anaïs Aouat et Tom Geels qui ont physiquement disparus dans l’incarnation de ces personnages qui nous attendrissent malgré eux, empruntant, par des moyens techniques, les voix des pensionnaires du Home Malibran.
Palmina Di Meo
Que devenir lorsqu’on n’est plus tout à fait soi ?
Par Michel Voiturier
Comment sommes-nous lorsque l’âge nous condamne à n’être plus tout à fait nous-mêmes ? Comment la société gère-t-elle cette situation ? Voilà ce que montre le théâtre reportage théâtral de Magrit Coulon montée bien avant le scandale des EHPAD.
En guise de décor, un endroit d’une maison de retraite pour personnes âgées. En Belgique : un home ; en France un EHPAD. En tant que projet : observer le quotidien des pensionnaires qui y finissent leur vie. En tant que réalisation : montrer sans caricaturer, sans mimer, sans risquer un rôle de composition où l’interprète s’efforce de faire semblant de manière plus ou moins crédible en risquant le ridicule.
Afin d’être au plus proche du réel tout en ne cachant pas qu’il s’agit de théâtre, Magrit Coulon a conservé la fiction avec des interprètes jeunes. Elle leur a demandé de reproduire certains gestes répétitifs, certaines attitudes propres aux individus dont le corps est victime de sa sénilité. Elle les a fait cependant jouer en play back sur de véritables paroles prononcées par des résidents de maisons de repos, travail remarquable de précision qui permet de conserver l’authenticité de leur discours. Elle a ainsi réussi à atteindre l’objectif d’aboutir à un spectacle documentaire.
A ce premier choix réussi s’ajoute un deuxième sous forme de traitement du temps. Celui des gens âgés n’est évidemment pas celui des jeunes, des actifs. Pas davantage celui d’un spectateur d’une pièce. Une horloge sur un mur donne l’heure en temps véritable. Elle convie le public à apprécier de manière concrète, par exemple de visualiser que, option quasi impossible dans le cas d’une représentation courante, durant une douzaine de minutes, rien ne se passe au point de vue d’une narration, rien non plus en ce qui concerne des actions accomplies afin de nouer une intrigue, des péripéties d’un scénario. Et cela sans que l’attention de la salle s’amenuise dès que les gens assis se rendent compte qu’ils ont devenus des observateurs.
Troisième atout, l’adjonction de signes symboliques venus, en dehors de toute dramatisation émotionnelle superflue, témoigner que les pensionnaires sont en décrépitude physique voire mentale irrémédiable. Des morceaux du décor tombent peu à peu sur le plateau, en référence au titre complet de la pièce.
La nécessité de voir
« Home » met en évidence quelques épisodes habituels du fonctionnement institutionnel. Le moment du repas, ceux que les résidents consacrent à parler entre eux, ceux des fêtes régulièrement organisées, ceux des besoins humains ou médicaux à satisfaire. Ceux durant lesquels chacun rêve du passé, des désirs impossibles. Nous sommes alors au cœur même d’une réalité. Elle nous amène à accepter l’inéluctable de la sénescence. À vérifier que davantage d’attention est portée aux corps plutôt qu’aux esprits. À esquisser une réflexion sur les fins d’existence.
Rien de désespérant cependant. Ce qui est montré est parfois drôle. Quand c’est désolant en apparence, c’est surtout lucide. Et il n’y a aucun fatalisme à cela. Comme l’a démontré le récent décès d’Axel Khan. Celui-ci, cancérologue renommé, vint quelques semaines avant une fin qu’il savait inévitable, raconter sereinement à la télé la maladie en train de le ronger et combien il considérait la mort comme une expérience de vie. « Home », outre le plaisir théâtral qu’il procure, est bien une réalisation salutaire.