Fonte des glaces, acidification des océans, disparition des espèces animales et végétales… Un mot résume à lui seul l’impact de l’homme sur l’écosystème terrestre : anthropocène. L’ère des activités humaines qui, sous le joug du capitalisme, met à sac la richesse de notre planète.
Avec « La Bombe humaine », Vincent Hennebicq met le dérèglement climatique au cœur de la réflexion. Il s’en empare avec toute la complexité du sujet, y compris les incohérences. Car pour faire sens, la démarche de création ne devrait-elle pas avancer « proprement » dans ses recherches ? Exit les voyages comme sources d’informations, les commandes sur Amazon ? Pas si simple. Pour relever le défi, Vincent Hennebicq a sensibilisé Eline Schumacher à sa démarche. Et c’est là que le projet a changé d’aiguillage.
Un joyeux malentendu s’est immiscé dans la compréhension des intentions, Vincent évoquant la rencontre des Hommes de par le monde, tandis qu’Eline y lisait celle des hommes. Plutôt que d’évincer le quiproquo, il fut intégré au travail. Et le cadre de se préciser, sans s’épargner les contradictions : Vincent et Eline allaient rencontrer scientifiques, anthropologues, psychologues, … mais aussi de nombreuses personnes au mode de vie alternatif. Parallèlement à ces données, on suit les soubresauts de la vie des deux créateurs, plongeon incongru dans l’intime face à l’humanité qui vacille. Le fruit de ce travail : un délicieux mélange d’intelligence heureuse.
Qui n’a jamais fait du vélo dans un esprit écolo tout en portant des baskets fabriquées en Chine ? Acheté des légumes bios emballés dans des tonnes de plastique ? Nous sommes tous pétris de contradictions quand il s’agit d’écologie. Ce sont ces conflits, intimes mais aussi politiques, qu’aborde « La bombe humaine » (…).
Catherine Makereel, Le soir.
«La bombe humaine»: Anthropocène, mon amour
Publié par catherine Makereel, le 24/09/2021 à 17:56
Imaginez une bête de scène danser une samba envoûtante sur le pont du Titanic. C’est peu ou prou l’effet (salvateur) que nous fait Eline Schumacher dans La Bombe Humaine au Théâtre National, une pièce qui tend un miroir, cyniquement drôle, à nos incohérences face à la catastrophe annoncée.
Elle fait du vélo. Elle mange de la viande mais pas trop. Le robinet de sa cuisine goutte mais elle a mis une casserole en dessous pour récupérer l’eau. Elle ne mange jamais de tomates en hiver mais elle mange du Nutella et des Kinder Bueno. Pourtant, elle sait que c’est mal. Elle ne lit pas les journaux, sans doute parce qu’elle n’ose pas affronter la réalité. Ah oui, et elle vient de s’acheter, sur Internet, des baskets fabriquées en Chine alors qu’elle travaille sur un spectacle qui parle de l’anthropocène, du péril environnemental, du réchauffement climatique, de la fin de l’humanité. Elle, c’est Eline Schumacher, comédienne et metteuse en scène de La Bombe Humaine , actuellement au Théâtre National. Mais elle, c’est aussi beaucoup d’entre nous, Occidentaux bobos tiraillés par notre mauvaise conscience, par cette culpabilité diffuse face aux conséquences de nos modes de vie enchaînés à des politiques extractivistes, à notre empreinte désastreuse sur la planète et à l’inertie de gouvernements. Eline Schumacher est une trentenaire qui se débat, mais elle est aussi le miroir de nos propres incohérences dans ce monde qui vacille.
Effondrement, catastrophes naturelles, pollution, épidémies sanitaires : même une Greta Thunberg en aurait le moral qui tangue devant la liste des fléaux qui tissent le décor de cette pièce de Vincent Hennebicq et Eline Schumacher. Pourtant – ô miracle du théâtre ! – on en ressort gonflés à bloc, poussés dans nos voiles par l’énergie, l’humour, mais aussi le sérieux de ces confessions intimes doublées d’un copieux travail de recherche et de rencontres avec des personnalités médiatiques comme le chercheur François Gemenne, l’euro-député écolo Philippe Lamberts ou encore la militante Adelaïde Charlier. La pièce, mélange de gravité et de dérision, est à l’image des costumes, bleus de travail rehaussés de sequins et de paillettes. Même la scénographie, et son plateau où gisent des restes de confettis et cotillons, évoque une ambiance de fin de soirée, métaphore de notre monde, en pleine gueule de bois après une fiesta décadente, insouciante du lendemain.
On y croise Joachin Phoenix, l’acteur américain qui fit un discours vibrant sur l’écologie à la cérémonie des Oscars. On y aborde le phénomène de solastalgie – ou éco-anxiété – cette souffrance psychique qui étreint certains, fatigués de vivre dans ce monde tout pourri. On y navigue, en riant, au milieu d’oppressants fumigènes et de pseudo-zombies pour désamorcer l’ambiance angoissante qui nimbe la collapsologie. On vogue jusqu’en Islande, puis autour du globe entier, pour survoler des communautés qui ont fait des choix de vie alternatifs. On s’attriste pour les générations à venir mais, dans un même mouvement, on se console avec les envolées lumineuses de Marine Horbaczewski et Olivia Carrère, chanteuses et musiciennes sur la scène. Et puis surtout, on s’abreuve de cette démarche sincère, à la fois sombre et joyeuse. On y puise de la force. Et on y grappille malgré tout un peu d’espoir. A quoi sert l’utopie si ce c’est à nous faire avancer ?
Un débat pour poursuivre la réflexion
Par Catherine Makereel
« Face à l’Anthropocène, des utopies réalistes ? » Tel est l’intitulé d’une soirée thématique qui, le 29 septembre au Théâtre National, questionnera les actions possibles (individuelles et/ou collectives) pour réagir aux déséquilibres causés par l’être humain. Autour de la table se réuniront Eline Schumacher et Vincent Hennebicq (créateurs de La Bombe Humaine), François Gemenne (co-auteur de L’Atlas de l’Anthropocène), Philippe Lamberts (eurodéputé Ecolo), Carine Thibaut (Greenpeace Belgique), Colas Van Moorsel (Youth For Climate) dans un débat modéré par Béatrice Delvaux, éditorialiste en chef du Soir. La soirée se poursuivra avec la projection du film Anthropocène – L’Époque Humaine de Jennifer Baichwal, Nicholas De Pencier et Edward Burtynsky.