« Le dîner de cons » : pour réveillonner en hilarante compagnie

Par Catherine Makereel

« La seule chose rassurante concernant les cons, c’est qu’on est toujours le con de quelqu’un », disait Francis Weber. La preuve avec son increvable comédie, mise en scène par Daniel Hanssens. A Uccle.

 

Comment écrire, sans les offenser, que Daniel Hanssens est un con mémorable et que Pierre Pigeolet fait totalement illusion en salaud ? Espérons que les deux comédiens – ici dans de purs rôles de composition, évidemment ! – ne prendront pas la mouche si on s’extasie devant leur talent à endosser les deux personnages cultes du Dîner de cons, increvable pièce de Francis Weber.

 

Voilà d’ailleurs un autre petit miracle incompréhensible : Comment cette pièce, créée sur les planches avec Jacques Villeret et Claude Brasseur en 1993, jouée plus de 600 soirs à l’époque, puis transformée en carton télévisé avant d’être rediffusée encore et encore sur le petit écran, déclenchant chaque fois des records d’audience, en plus d’être remontée à toutes les sauces au théâtre, comment ce spectacle, essoré partout jusqu’à la dernière goutte, peut-il encore dégorger un jus si succulent, en 2023, alors que Daniel Hanssens lui-même s’en empare pour la quatrième fois ? C’est l’énigme réjouissante que représente Le dîner de cons, créé par la Comédie de Bruxelles cet automne et bientôt programmé au Centre culturel d’Uccle. Suprême ironie : Francis Weber lui-même ne croyait pas au potentiel viral de sa farce : « L’histoire d’un type bloqué par un tour de reins et coincé sur un sofa en face d’un con ne fera pas une entrée. »

 

La suite l’a fameusement contredit. Trente ans après la création de la pièce, l’engouement ne faiblit toujours pas si on en juge par les torrents de rire et d’applaudissements qui ont arrosé la mise en scène de Daniel Hanssens au Centre culturel d’Auderghem, où nous avons découvert cette énième version de la rencontre improbable entre deux hommes que tout semble opposer. Vous connaissez le pitch par cœur : tous les mercredis, Pierre Brochant et ses amis organisent un dîner où chacun doit amener un con. Celui qui a trouvé le plus spectaculaire est déclaré vainqueur. Ce soir-là, Brochant est sûr d’avoir trouvé la perle rare, un con de classe mondiale : François Pignon, comptable au ministère des Finances, passionné par la construction de maquettes de monuments célèbres en allumettes. Malgré un dos coincé qui le fait horriblement souffrir, l’éditeur parisien jubile : ce soir, il tient le champion, c’est sûr !

 

Gaffes phénoménales

Sauf que le champion a un autre talent, insoupçonné : semer la pagaille à coups de gaffes phénoménales. Le dîner n’aura finalement jamais lieu et, avant de pouvoir dire ouf, Brochant va voir sa femme le quitter, sa maîtresse le harceler, et un contrôle fiscal lui pendre au nez. Tout ça grâce à l’involontaire contribution de son maladroit invité. Dans un décor unique – le cossu salon de Brochant imaginé par Francesco Deleo – les catastrophes vont s’enchaîner à un rythme soutenu, le tout parsemé de répliques désormais cultes : « Il s’appelle Juste Leblanc. – Ah bon, il n’a pas de prénom ? – Je viens de vous le dire, Juste Leblanc. Votre prénom c’est François, c’est juste ? Eh bien lui, c’est pareil, c’est Juste. »

On l’a dit plus haut, Daniel Hanssens est un Pignon succulent, à la naïveté bonhomme et aux bévues désopilantes. Face à lui, Pierre Pigeolet déploie une nervosité parfaitement dosée, une rouerie diablement comique dans le rôle de Brochant. Réglé comme du papier à musique, leur duo fait des étincelles, alimentées par une distribution au poil : David Strajmayster, Michel Hinderyckx, Victor Scheffer, Christel Pedrinelli et Joséphine De Renesse. Tous savoureux jusqu’au retournement final quand il s’avère, bien sûr, que le vrai con n’est pas toujours celui qu’on croit.