Uccle à la conquête de l’espace

Auréolée de trois nominations aux Molière, la pièce de Mélody Mourey se pose à Bruxelles. La petite histoire d’un jeune défavorisé croise la grande histoire pour nous emmener jusqu’à la lune.

 

Cinématographiquement, La course des géants pourrait être un croisement entre Good Will Hunting (pour l’ascension d’un jeune garçon surdoué issu d’un milieu défavorisé) et Apollo 13 (pour sa chronique de la conquête spatiale américaine). Deux influences que Mélody Mourey assume pleinement, tout comme ses emprunts historiques au moment de nous raconter la genèse de sa pièce à succès (trois nominations aux Molière cette année) même si l’autrice et metteuse en scène insiste aussi sur la grande part fictionnelle de son œuvre : « Je me suis intéressée à l’Histoire, j’ai fait des recherches pour étayer le contexte de la guerre froide et de la course aux étoiles entre les Etats-Unis et l’URSS avec notamment tout un travail pour trouver des images d’archives qui nourrissent les vidéos du spectacle mais, pour le reste, j’ai totalement construit les personnages. Jack Mancini notamment, le personnage principal, est totalement inventé. »

 

Fils d’immigrés italiens, le jeune Jack Mancini est passionné par les étoiles. Sa vie pourtant n’a rien de céleste : dans le Chicago des années 60, il partage son temps entre une mère droguée, un boulot sous-payé dans une pizzeria, des activités de dealer à la petite semaine et des passages en garde à vue quand tout cela dérape. Jusqu’à ce qu’un jour, un professeur de psychologie décèle en lui des capacités hors norme qui pourraient lui ouvrir les portes d’une prestigieuse université et, pourquoi pas ?, le guider vers la Nasa, alors engagée dans le programme Mercury, bientôt suivi par Gemini puis Apollo.

 

Rêve américain nuancé
Des quartiers populaires de Chicago jusqu’au centre de contrôle des vols de Houston, La course des géants croise donc la petite histoire d’un jeune rebelle américain et la grande histoire de la conquête spatiale. « Au départ de la pièce, il y avait l’envie de travailler sur les rêves d’enfant », se souvient Mélody Mourey. « Or, l’Espace, c’est l’illustration la plus folle du rêve, ce qui semble le plus inaccessible et en même temps le plus partagé par les enfants. » Tissant le destin extraordinaire d’un petit garçon ordinaire, la dramaturge a pris soin d’y greffer une trame historique : « Un des moments forts du spectacle est très inspiré de l’histoire vraie d’Apollo 13. » Dans sa première pièce déjà – Les crapauds fous – inspirée de deux résistants polonais ayant sauvé des milliers de vies pendant la Seconde Guerre mondiale, Mélody Mourey puisait dans l’étoffe des héros. Cette fois, c’est donc plutôt la guerre froide qui nourrit son imagination, sur fond de rêve américain. Mais attention, pas question de sombrer dans l’élégie béate : « Il y a des nuances dans cette illustration du rêve américain. Sans trop en dire, disons que Jack Mancini se fera aussi manipuler. »

 

Sur scène, six comédiens endossent une trentaine de personnages à un rythme mi-cinématographique, mi-chorégraphique grâce, notamment, à des projections visuelles immersives. « Les changements de lieux sont nombreux : on voyage entre une pizzeria, un aéroport, une voiture, la maison de Jack, un bar, le commissariat de police, un bureau de la Nasa. Ça demande des transitions rapides pour que ça reste fluide et c’est cela qui rend l’ensemble chorégraphique, avec un rythme proche de celui des séries ou du cinéma. » Composition musicale originale, mise en scène nerveuse : cette fresque historique et humaine vous fera voyager dans le temps et dans l’espace. Voire même jusqu’à la lune. Houston, we have a (wonderful) problem ! Ou, comme le dirait la devise de la Nasa : Per aspera ad astra (« Par les chemins difficiles, jusqu’aux étoiles »).

 

Catherine Makereel – Le Soir – MAD – 05/10/2022