Entre vie et mort, fragments d’amour et de souvenirs dans un hôtel désolé

Par Laurence Bertels

Publié sur lalibre.be le 8 novembre 2021

 

Entre vie et mort, fragments d’amour et de souvenirs dans un hôtel désolé. “L’Errance de l’hippocampe”, une balade au pays nébuleux d’une mémoire fragilisée. Énigmatique.

 

Entre esthétique de tableaux solitaires, si semblables à ceux d’Edward Hopper, et fragments de pensée, Jean-Michel d’Hoop et sa Cie Point Zéro nous invitent à l’errance au sein de l’insondable mémoire et de ses chaos.

 

Lever de rideau sur les néons d’un hôtel désolé et d’un bar très Art déco qui semble glisser seul sur le plateau, comme s’il s’agissait d’un théâtre ou d’un sas entre la vie et la mort. Le spectre de l’expérience de mort imminente se profile lorsque Vincent (Leopold Terlinden, tout en énigme) voit son double gisant sur son lit de mort. Suivra l’apparition d’un prestidigitateur, étonnant François Regout, en smoking noir rehaussé d’un col à paillettes bleues.

 

Quatre personnages se croisent sur scène et dialoguent parfois avec des marionnettes, pâles et fragiles aux longs cils, plus petites que celles auxquelles la compagnie nous avait habitués, pour des scènes tantôt saupoudrées d’érotisme.

 

Doué pour se renouveler, après L’Herbe de l’oubli sans concession pour l’énergie nucléaire (Meilleur spectacle aux Prix Maeterlinck 2018), ou Trois vieilles (2009), qui remporta un franc succès à Avignon ou encore au Festival mondial de marionnettes de Charleville-Mézières, Jean-Michel d’Hoop met toujours en scène ses chères marionnettes, mais laisse ici une place prépondérante aux comédiens et à un univers onirique et cinématographique, qu’il ait recours, ou non, aux vidéos de Yoann Stehr.

 

Fragments de vie

Une succession de scènes épurées et fantasmagoriques racontent des fragments de vie, d’amours et de souvenirs ponctués par la présence du magicien venu brouiller ou embellir les pistes, ou par celle du scaphandrier désireux de jouer à cache-cache.

 

Tout en lenteur, d’une femme (fascinantes Colline Libon et Taïla Onraedt) et d’une vie à l’autre, le récit se déroule dans le désordre et perd parfois le spectateur tant le fil narratif est ténu. À moins de lâcher prise, de se laisser porter et emmener par ce mélange de réflexions et de souvenirs venus rappeler qu’au bout du compte, chacun passera de l’autre côté.

 

En travaillant l’autre oubli, la subjectivité et l’intimité, en ce théâtre où le vrai se mêle sans cesse au faux, Jean-Michel d’Hoop explore avec intelligence les zones fragiles, profondes et secrètes de la mémoire à la lisière du trouble.

 

L’hippocampe représente en effet cette part du cerveau localisée dans le lobe temporal dans chaque hémisphère où se greffent les souvenirs et le sens de l’orientation. Si le cerveau est endommagé à cet endroit, il entraîne une situation d’errance de la mémoire.

 

Qu’il émane de L’Errance de l’hippocampe un sentiment de confusion semble cohérent avec le propos. Il suffit de perdre le fil pour savourer la lente beauté de chaque tableau.