La cupidité hollandaise en Indonésie

Rencontre avec Herman Helle par Françoise Laeckmann

Dans Notre Empire, grâce à la réalisation de saisissantes maquettes, la compagnie Hotel Modern explore de manière vivante et imaginative comment les Hollandais ont établi avec violence et duplicité leur empire commercial dans l’archipel indonésien. L’artiste visuel, sculpteur-plasticien et comédien Herman Helle, membre d’Hotel Modern, nous raconte la genèse de Notre Empire.

 

La colonisation hollandaise, est-ce un passé avec lequel vous ressentez un lien personnel ?

« Mes parents sont nés en Indonésie. Mes quatre grands-parents y étaient venus des Pays-Bas. Ainsi, même si j’ai grandi dans le polder néerlandais, nos vies à la maison étaient imprégnées d’un sentiment du « bon vieux temps » en Indonésie, appelé le tempo doeloe. Mes parents voulaient que nous ayons une enfance aussi merveilleuse que la leur : nous marchions pieds nus ; nous mangions de la nourriture indonésienne; les gens venant d’Indonésie étaient des visiteurs bienvenus. Pour autant que je sache, nous étions Indonésiens. Mes parents n’étaient pas des envahisseurs, et en ce qui me concernait, ils avaient parfaitement eu droit à leur merveilleuse jeunesse. Mais ce récit heureux se heurte à la réalité historique, qui a beaucoup d’aspects sombres. Et c’est aussi ce qui la rend très intéressante. Car que faites-vous d’un tel héritage, pour l’amour de Dieu ? »



Mais Notre Empire va bien au-delà de votre histoire personnelle, non?
«Oui. Je me demandais depuis longtemps si je devais utiliser ma propre histoire familiale pour créer une pièce de théâtre. Je sais tout sur le tempo doeloe, mais cela a déjà été raconté des centaines de fois et puis je me suis dit qu’il serait peut-être plus intéressant de faire quelque chose à propos de la guerre d’indépendance d’Indonésie. Pour ce faire, il fallait revenir au début du 17ème siècle lorsque les Hollandais ont pris l’île d’Ambon aux Portugais. Nous terminons dans la capitale coloniale néerlandaise Batavia [maintenant Jakarta] en 1670. C’est l’histoire que nous voulions raconter – celle du point de vue des Indonésiens.



Comment avez-vous fait pour recréer les incroyables détails de la maquette ?
Pour nous faire une idée de ce qui s’est passé et des conditions de vie des différents groupes de population à cette époque, nous avons consulté des sources historiques et nous nous sommes entretenus avec des historiens. Ce qui n’a pas facilité le travail. Car ce qui vous rend fou, c’est qu’il y a tellement de choses que vous ne savez pas. Par exemple, les îles de Banda – là où le gouverneur Jan Pieterszoon Coen * a perpétré un massacre – étaient autrefois le seul endroit au monde où la muscade était récoltée et pendant longtemps le commerce mondial de l’épice était basé sur ces seules îles. Nous n’avons pu qu’imaginer que ses habitants devaient être richement vêtus. Les maquettes de villages que nous avons construits pour la pièce sont donc basées sur d’autres îles des Moluques.



Ça devait représenter un véritable travail de titan ?
Hotel Modern a passé un an à construire les maquettes de Notre Empire, et un soin similaire a été apporté à la composition par Arthur Sauer au niveau de la musique et des sons qui accompagnent les scènes et donnent de l’atmosphère en mettant par exemple l’accent sur des sons plus retentissants lorsque de bonnes choses arrivent, et des sons plus feutrés pour représenter le mal. En dehors de cela, on a rassemblé autant d’enregistrements qu’on a pu trouver d’insectes et d’oiseaux des îles où se déroule la pièce. Le son le plus réussi, je pense, est lorsqu’un navire portugais coule lors d’une bataille navale. Il n’était pas possible de le représenter visuellement. Arthur Sauer a alors utilisé les sons de cannes de bambou qui claquent. Cela lui a pris dix jours pour le faire…

*La conquête des Îles Banda par les Néerlandais, également appelée le massacre de Banda, est une conquête militaire qui, en 1621, aboutit à une sévère perte de population sur ces îles, dont les habitants ont péri des suites de la guerre, par la famine, ainsi que par des massacres et des déportations perpétrées par les conquérants néerlandais.

Françoise Laeckmann