Laurence Bibot et ses quarante femmes

Propos recueillis par Françoise Laeckmann

Certains la connaissent comme la maman d’Angèle et de Roméo Elvis, d’autres comme la partenaire du chanteur Marka, mais Laurence Bibot est avant tout une comédienne, autrice et humoriste aux talents multiples. Et immenses. Son dernier spectacle, présenté au CCU, en est une nouvelle preuve.

 

 

Quelle est l’origine de ce spectacle qui n’est ni un one-woman-show ni un documentaire ni même un spectacle playback ?
L’ennui ! Réellement ! C’est en m’ennuyant, un jour, que j’ai commencé à visionner des archives remasterisées de la RTBF sur la SONUMA et Auvio et que l’idée a germé (donc de longs après-midi
d’ennui!). D’ailleurs, je fais l’éloge de l’ennui dans le spectacle. Je chipote et je trouve une archive
de Dominique Rolin. Je trouve qu’elle dit des trucs énormes et insensés sur le féminisme, que la
femme doit être un petit animal et qu’elle doit être soumise… J’en ai fait un petit play-back qui n’a
jamais été diffusé, mais c’est là que tout a démarré. Et j’ai commencé à doubler comme ça. C’était un long processus mais ça m’a semblé très créatif. Ensuite, j’ai posté un premier playback sur Instagram sans penser au lendemain. Aujourd’hui, j’ai plus de 180 playbacks. Je présente une quarantaine d’entre eux, dans ce qui ne sera ni un one-womanshow, ni un documentaire mais
plutôt un spectacle-playback, une forme en chair – et en son – que je partage avec le public, en toute confidentialité. Chaque personnage doublé est féminin.

 

N’ayant que trente secondes pour vous exprimer à travers ces femmes, la sélection des archives a pu sembler laborieux. Comment avez-vous procéder ?

Il faut que ces témoignages me parlent, m’amusent ou me touchent ! Je suis assez contemplative donc j’aime observer les gens et je suis fascinée par la manière dont ils s’expriment, bougent, cachent leurs émotions ou les montrent. Il y a une multitude de choses infimes qui, a priori,
semblent sans importance mais une fois passées à la loupe, elles peuvent nous en dire beaucoup plus que ce qu’on pensait. À tel point, que j’arrive parfois à sentir quand l’une ou l’autre de ces femmes ment ou est en colère…


Comment incarner le personnage ?
Je l’observe, je réécris le texte, je la regarde plusieurs fois pour la comprendre et arriver à la doubler sans lire mon texte. Ensuite, c’est très étrange, mais je rentre véritablement dans le personnage. Je vais trouver la perruque qui lui ressemble, je choisis des vêtements similaires aux siens. Je ne vais plus faire une analyse un peu froide et distante. Je vais l’incarner durant quelques heures. C’est un vrai travail de comédienne. Mais, même si ces personnages sont pour moi des objets de curiosité, j’essaye d’être honnête et de leur rendre justice. L’idée n’est pas de les disséquer mais de les regarder tellement longtemps et tellement fort que j’aie l’impression d’entrer
dans leur tête. Et au final, j’arrive à créer ces capsules parodiant quelques archétypes féminins :
shampouineuse, directrice d’école, nymphette, ménagère de plus de 50 ans, femme dépressive ou exaltée, mais aussi des personnages connus, Barbara, Juliette Gréco, Soeur Sourire ou encore Amélie Nothomb. C’est très jouissif d’être quelqu’un d’autre !

 

À travers les femmes incarnées dans Je Playback, vous retracez l’évolution de la perception de la femme à la télévision depuis les années 1960 jusqu’aux années 2000.
Ce n’est pas venu tout de suite, mais j’ai constaté que les femmes à la télé étaient traitées jusque dans les années 1970 comme des enfants, des êtres à part. On leur pose toujours les mêmes bêtes questions. La télé de ces années-là était encore très masculine. J’essaie de leur rendre justice, d’être sans jugement, de ne pas me foutre d’elles… Sauf quand elles sont odieuses ou méchantes !

 

Il y a eu Zouk, il y a Zidani, et d’autres, qui, parfois, jouent de leur physique décalé pour faire rire. Mais, quand on est intelligente, drôle, belle et grande, ça se passe comment ?
Merci ! (rire) Vous savez, pour ce qui est de la taille, être grande n’a pas toujours été facile pour moi. Les gens, souvent avec bienveillance, vous le rappellent sans cesse. Et ça vous met dans une situation inconfortable. Je ne suis pas hyper à l’aise en société ; je suis timide et réservée, je n’aime pas me faire remarquer. Mais vu ma taille, je n’ai pas le choix : on me remarque ! Avec les années, j’ai réussi à l’accepter. Les timides, je pense, trouvent toujours une voie pour s’exprimer. Mais, dans mon métier, ce n’est pas un avantage : très vite, j’ai compris que je n’aurais pas accès à un tas de rôles. Je ne pouvais pas jouer une princesse par exemple, car j’étais toujours plus grande que le prince. Paradoxalement, cela m’a servi et c’est comme cela que j’ai commencé à écrire des rôles pour moi, à monter seule sur scène. En fait, j’en ai fait une force ! Cela m’a permis d’être une pionnière ! Pour moi, faire rire a toujours été quelque chose de naturel, je ne me suis jamais censurée par rapport à cela. Sans doute parce que je viens d’une famille où l’on aimait s’amuser.

 

Un message à travers votre nouveau spectacle ?
Je pense que c’est à chacun(e) d’y trouver ce qu’il/elle veut. Je pose un certain regard sur une époque : des langages, des coiffures, des folklores ; j’ éclaire un peu la place de la femme
dans les médias et la manière dont notre société a évolué depuis l’avènement de la télévision. Après, il y a clairement des choses qui sont là car elles me font rire !