L’interview d’Adeline Dieudonné

À partir du premier roman d’Adeline Dieudonné, Georges Lini met en scène ce manuel de survie d’une guerrière de 10 ans comme un conte pour adultes où il y a l’ogre de père, la craintive de mère et le petit frère qu’il faut sortir des griffes du monstre.

 

La poétique du cauchemar

Conte initiatique détonant où le réel vacille, bestial, sauvage, violent, entaché de sang et imprégné de mort, La vraie vie est aussi un drame social dont tout le récit en “je” repose sur une fillette. Tout le défi consistait à préserver cette parole narrative sur scène. Un rôle phare que Georges Lini a confié à… Adeline Dieudonné, également comédienne. Rencontre avec Adeline Dieudonné, la vraie

 

Quelle impression ça fait d’incarner un personnage de son propre texte ?

« Ah ben, ça fait bizarre hein ! C’est très très émouvant ! Et vraiment très désarmant parce que je revis de l’intérieur les sensations que j’avais en écrivant et je dois en quelque sorte réinventer mon texte, donc c’est très particulier. C’est Georges Lini, le metteur en scène, qui m’a contactée parce qu’il avait lu le livre et qu’il avait envie de le porter à la scène. J’ai été extrêmement honorée parce que c’est un artiste que j’admire énormément – je suis fan de son travail – donc je n’aurais pu pas pu avoir une plus belle proposition. Pour ce qui est de mon rôle de la fillette narratrice, ça va, je suis comédienne de formation et je suis déjà sur scène avec mon spectacle Bonobo Moussaka, donc j’ai l’habitude. Maintenant, c’est vrai que j’étais un peu intimidée, parce qu’être entre les mains de Lini, c’est extraordinaire… Je n’aurais pas pu rêver mieux. Entendre et voir vivre mon texte sur scène, c’est un peu comme de le voir passé de la deuxième à la troisième dimension, c’est fabuleux. Et c’est grâce à Georges Lini qui a relevé un sacré défi parce le roman comporte beaucoup d’action et que l’action, ce n’est pas toujours évident de la représenter sur scène, mais il y est brillamment arrivé ! ».

 

Au départ de cette aventure théâtrale, vous aviez souhaité que la pièce La Vraie Vie soit « colorée et féroce». L’est-elle ?

« Oui, très. L’histoire, déjà, est féroce en soi, c’est l’histoire d’un combat, celui d’une fillette qui veut redonner le goût de la vie à son frère. Féroce aussi, parce que c’est l’histoire de la libération d’une toute jeune fille qui devient adulte dans un monde difficile et cruel. Et plus elle va grandir, s’ouvrir sur le monde, découvrir ses capacités intellectuelles, plus elle va comprendre (contrairement aux petits enfants qui, lorsqu’ils vivent dans un contexte violent ou toxique, croient que toutes les familles fonctionnent comme ça) le caractère atypique de sa famille, et plus elle va être en colère… Cette colère lui donne la force de refuser la fatalité, de se retrousser les manches et de plonger dans le cru de l’existence en tentant d’effacer cette vie qui lui apparaît comme le brouillon de l’autre. La vraie ! Et c’est une pièce colorée grâce à toute la magie de la mise en scène de Georges Lini qui reconstitue de fabuleux décors imaginés par Charly Kleinermann et Thibaut De Coster. Le tout est plongé dans une ambiance vidéo, sonore (de Sébastien Fernandez) et lumineuse (de Jérôme Dejean) très efficace. Côté comédiens, si mon personnage, celui de la fillette narratrice – la sœur guerrière – porte la pièce, je peux aussi compter sur une formidable Isabelle Defossé, haute en diverses couleurs, en mère “amibe”, voisine fée, vieux marchand de glace ou encore professeur de physique; sur un terrifiant Georges Lini, en père bourru, colérique et violent; et le jeune Eliott Constant (en alternance avec Arsène Gillet) en petit frère désemparé, formidable de naturel. Au final, la pièce apporte de nouvelles teintes et un nouvel éclairage à l’histoire du livre. En réalité, j’ai découvert plein de choses sur mon propre roman grâce à la pièce de théâtre ! »

 

Vous êtes une auteure connue pour être assez proche de son lectorat. Qu’en est-il de votre rapport avec un public de spectateurs ?

« Le truc, un peu frustrant en tant qu’auteure, c’est qu’on reste dans notre petit coin et on écrit toute seule et on n’a pas l’occasion de voir l’effet que ça a sur les gens au moment où ils lisent ce qu’on a écrit. Là, ce qui est super au théâtre, c’est que l’on a cette occasion, cette communion, ce quelque chose d’un peu particulier à partager et à vivre avec les spectateurs. C’est en ça que le théâtre est vraiment l’art du spectacle vivant ! Au final, on est tous très heureux d’être là. Les spectateurs qui auront lu le roman ne seront pas déboussolés car sur scène on retrouve le même mélange de réalisme et d’onirisme que dans le bouquin. Pour les autres et pour tous, de cette chronique carnassière de l’inoxydable fantaisie de l’enfance face à l’implacable violence des hommes et la barbarie ordinaire qui habite tant de foyers, Georges Lini est parvenu – c’était un fameux pari – à en extraire le meilleur et à mettre sur le plateau l’émotion vécue en lisant le bouquin.”