Céline Chariot

“On peut raconter des histoires et faire passer des messages via des images”

Céline Chariot : “On peut raconter des histoires et faire passer des messages via des images”

 

C’est à un rêve éveillé que l’on assiste dans “Marche salope”, celui de la photographe Céline Chariot qui fait ici sa première incursion dans le spectacle vivant. “Je travaille beaucoup avec mon inconscient. Certains vont dans leur lit pour se reposer, moi j’y vais pour travailler” dit-elle avec le sourire. “Marche salope” (qu’elle a écrit et co-mis en scène avec Jean-Baptiste Szézot) s’est construit sur des images surgies des méandres de son moi profond. Le résultat est une impression d’irréalité tant l’onirisme est grand. Un voile se lève avec beaucoup de douceur sur une réalité qui elle est glaçante : celle du viol “à l’Occidental”, de ses conséquences dont l’amnésie traumatique, des injonctions faites aux victimes considérées comme co-responsables de ce qui leur est arrivé (ndlr ; selon un sondage d’Amnesty International Belgique, 48% des hommes et 37% des femmes estiment qu’une victime peut être en partie responsable de son agression). “Le viol est un sujet très vaste, il y a le viol politique, le viol de guerre, … De cela je ne parle pas dans le spectacle où je dis d’ailleurs que je n’aborde qu’une toute petite partie de ce que le viol représente”, explique Céline Chariot.

 

À la violence du geste subi par des millions de personnes dont la majorité sont des femmes agressées par des hommes, Céline Chariot répond avec une grande douceur teintée d’humour, loin de la polarité qui agite en général le débat public dans les affaires de violences sexuelles. Pour ne pas braquer ? Pour que les potentielles victimes dans la salle ne soient pas ramenées à la violence qu’elles ont vécue ? On ne le saura pas, mais cela fait sens face à la grande délicatesse que dégage Céline Chariot. À notre micro, sa voix est douce, elle se brise sur certains mots, ce qui n’empêche pas qu’une grande force émane d’elle. Dans sa note d’intention, elle écrit :

Dire “J’ai été victime” doit être vu comme un geste fort, c’est un geste de revendication. Être victime, ce n’est pas être faible, c’est avoir été flouée par une personne qui, en abusant de son pouvoir et de sa soi-disant supériorité, se trouve être l’auteur d’actes odieux.

 

Dans “Marche salope”, rien n’est cru, frontal. Céline Chariot a choisi un dispositif peu commun. Muette pendant les quarante-cinq minutes que dure la pièce, sa voix est portée par celle de la comédienne Julie Remacle, une façon pour elle d’aborder la question du mutisme. La narratrice rassure constamment le public : “N’ayez pas peur, ce ne sont que des mots”, martèle-t-elle. La voix est chaude, réconfortante. Pourtant, Céline Chariot met ce même public dans une position inconfortable en ayant une “démarche inclusive” où elle pousse le spectateur à sortir de sa passivité. Le prologue est un face-à-face d’une dizaine de minutes entre Céline Chariot et la salle où la première propose (toujours par la voix de Julie Remacle) d’”envisager cette expérience comme un dialogue continu entre le regardant et le regardé”. “Regarder quelqu’un droit dans les yeux pendant dix minutes, c’est long, c’est quelque chose qu’on ne fait plus, les gens ne sont pas à l’aise, mais je pense que c’est vraiment dans ces moments-là, ceux où l’on n’entend plus rien, que les choses les plus fortes se passent”, confie Céline Chariot.

 

“Marche salope” est une plongée en eau trouble dans “Le Monde du silence”. Un monde ambivalent, à la fois violent (“le silence est assourdissant” dit-on souvent dans ces affaires) et doux, qui laisse sa place au corps, aux regards, aux battements du cœur, au souffle, à nos voix intérieures… “Il y a beaucoup d’autres moyens d’expressions que la parole”, plaide Céline Chariot. Logique pour une photographe ! Ici ses images adviennent par la scénographie subtile, quasi métaphysique. Jean-Baptiste Szézot et Céline Chariot ont d’ailleurs reçu pour “Marche salope” le prix de la meilleure scénographie aux Prix Maeterlinck de la Critique 2022. “On est très content du résultat“, admet Céline Chariot. “Réussir à raconter un rêve, à le mettre en scène via une scénographie, c’est un travail de précision chirurgicale !”, poursuit-elle. Dans “Marche salope”, chaque élément fait sens. Les pièces du puzzle s’imbriquent. Au détour d’un chemin, la lumière se fait. Tout s’éclaire.

 

 

 

Retrouvez Céline Chariot au micro de Tania Markovic

 

Informations pratiques

“Marche Salope” a été créé lors du Festival de Liège en février dernier et sera de nouveau joué au Festival de Liège en février 2023 avant une série de représentations en mars au Centre culturel d’Uccle. Dans l’intervalle et à quelques jours de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes (le 25 novembre), vous pouvez découvrir ce très beau spectacle en streaming sur le site Auvio de la RTBF puisque “Marche salope” fait partie de la septantaine de captations réalisées par la RTBF et la Fédération Wallonie-Bruxelles pour soutenir le secteur du spectacle vivant durement touché lors de la crise sanitaire (et maintenir par la même occasion un lien avec les amateurs de spectacles alors privés de salles).

 

RTBF.be 11 nov. 2022 à 13:48

Par Tania Markovic