Dans la peau d’un magicien

Propos recueillis par Françoise Laeckmann

C’est avec le tube Relax, de Francis Goes To Hollywood, que s’ouvre le spectacle. Le ton est donné : Thierry Collet a grandi en écoutant ce groupe. L’artiste français se dévoile sur scène, les numéros de magie se mêlant à l’évocation de sa vie de banlieusard, durant laquelle il découvre la compagnie de danse d’Alwin Nikolais ou les spectacles de théâtre de l’allemand Benno Besson. Le théâtre comme ouverture sur le monde pour grandir, pour s’émanciper et pour vivre son homosexualité.

 

En France, c’est l’un des grands noms de la « magie nouvelle », qui mêle prestidigitation et théâtre. « J’ai commencé à faire de la magie à 7 ans – l’âge de raison comme on dit, explique Thierry Collet. J’ai su très vite que j’explorerai cet art toute ma vie. Aujourd’hui, j’en ai 57 et je suis magicien, c’est mon métier. Au cours de ce spectacle, j’évoque des moments importants où la pratique de la magie
et du mentalisme a rejoint mon histoire intime, je fais donc des allers-retours entre ce qui me définit
comme magicien et ce qui me constitue comme être humain, en regardant mes démons plutôt qu’en faisant le malin. »


Prédire l’avenir ? Interroger l’au-delà ? « Scier » une femme en deux ? Thierry Collet « trouve plus intéressant de se poser des questions sur les ‘Pegasus’ (logiciels espion) d’aujourd’hui et autres
outils numériques », qui ont des conséquences, parfois inquiétantes, sur le quotidien de chacun. « Je suis fasciné par les croyances que font naître les technologies numériques », comme « les
captations des données personnelles », détaille le magicien, un des acteurs du renouveau de
la prestidigitation en France, au sein de sa compagnie Le Phalène.


« On utilise beaucoup de technologie en magie. J’essaie de repérer les innovations avant qu’elles
soient utilisées par le grand public », confie le magicien qui participe régulièrement à des colloques sur l’intelligence artificielle et se décrit comme « friand d’électronique et de solutions high tech ».


Thierry Collet a ainsi progressivement investi les « zones de flou» dans l’esprit du public, nées de ces technologies (numérique, nouvelle conquête spatiale, etc). Il y a, dit-il, « ce qui existe, les projets et puis les spéculations. Mais ce ne sont pas tant les objets qu’on manipule que le
public. Nos marionnettes, ce sont les gens. Je ne suis ni hackeur ni sorcier, je raconte une histoire (aux spectateurs). Ils y croient, ou pas ».


Le métier de magicien
À travers sa nouvelle création, Thierry Collet croise récits de vie et tours de magie pour évoquer son monde intérieur. Il invite le public à une rencontre très personnelle, lui livrant sa passion pour la magie, exposant le parcours initiatique qui l’a amené à en faire son métier. Il revient sur les expériences fondatrices et les « grandes illusions » qui ont jalonné son parcours, l’obsession d’une pratique gestuelle et corporelle exigeante basée sur le défi, le désir de se confronter en permanence à l’impossible, le goût pour le secret et le mensonge, le besoin de fabriquer du mystère pour les autres afin de mieux s’en protéger soi-même. Être magicien, c’est un métier, mais c’est avant tout un état, une perception particulière des choses, un intérêt pour les failles, les anomalies, un regard « de travers ».


« La magie, résume-t-il, est une porte d’entrée passionnante pour aborder des questions esthétiques, scientifiques, morales et philosophiques. Dans ce spectacle introspectif, je retraverse donc les moments où magie et vie personnelle se sont croisées et éclairées mutuellement. J’entrelace récit de vie et effets magiques, art de l’acteur et art du manipulateur. La magie, en fait, est un outil pour réveiller son esprit critique, s’émanciper, apprendre à douter. Le but est d’amener le public à naviguer entre le désir de s’abandonner à l’utopie et à l’illusion, et le plaisir d’en décoder certains rouages. C’est une quête de sens. »


La soirée s’annonce étonnante et détonante.