Être, sans être, ne pas être : pour être

Isabelle SPRIET, 1er février

« A table ! », cette invitation avec intonation particulière, très reconnaissable, demeure dans le subconscient collectif belge par le matraquage, à intervalles réguliers sur les ondes radiophoniques, d’une publicité, avouons le, sans cesse renouvelée et drôle, d’une entreprise agroalimentaire !

 

Outre cette injonction, le titre dans son ensemble ne nous est pas inconnu non plus puisque Guillaume Gallienne, auteur et interprète de sa pièce autobiographique jouée en 2008, en a fait un film en 2013.

 

Sur scène comme à l’écran, ce sociétaire de la Comédie française fut récompensé par de nombreux prix.

 

La reprise par le metteur en scène belge Patrice Mincke n’est pas en reste puisqu’elle a été nominée meilleure comédie-humour pour les prix Maeterlinck de la critique 2023. 

 

Toujours fort intéressant de comparer, pour un même texte, cinéma et théâtre. Là où le 7e art illustre et nécessite une kyrielle d’acteurs, actrices pour camper les différents personnages et nombre de lieux, l’art vivant suggère et un seul comédien suffit ; encore faut-il qu’il soit bon pour ne pas tomber dans la caricature et le grotesque.

 

Jean-François Breuer excelle dans ce seul en scène. Epoustouflante la rapidité avec laquelle il passe de Guillaume à la mère de Guillaume, à son père, à sa tante, à Sissi, au psy, à l’amie espagnole, de la Bavière à l’Angleterre… Pas besoin non plus d’une multitude d’accessoires. Un objet, tel un éventail, une ceinture, une couverture, une veste, pris dans une des valises bien rangées sur une étagère-armoire-porte et le tour, le tout est joué avec justesse dans le ton et la gestuelle.

 

Le public rit des situations cocasses, des répliques qui font mouche. La pièce soulève néanmoins les éternelles et lourdes questions sur l’identité et le poids psychologique de la mère, omniprésente sur le plateau par le biais d’un mannequin de magasin.

 

Pas facile, dans un monde stéréotypé, d’être né garçon avec un visage poupon aux cheveux bouclés, de ne pas aimer jouer au football ou escalader une montagne, de s’habiller en fille avec des fringues de mec, d’être sensible et émotif…

 

On ressent la douleur, l’humiliation subie, la remise en question permanente, le besoin irrépressible de plaire à la mère, de ne pas décevoir le père.

 

Si Guillaume Gallienne est parvenu à mettre des mots sur son vécu et à prendre de la distance, n’est-il pas aussi compliqué et long pour tout un chacun de trouver sa voie, sa véritable identité, sa propre personnalité, de choisir et d’aimer un(e) partenaire de vie ? Qu’on le veuille ou non, ne sommes nous pas tous handicapés par le poids de la famille, de la société, de ses rites et obligations ?

 

Une évidence rassurante et réjouissante cependant : le théâtre, celui qui porte sens, permet à l’acteur d’acquérir  un équilibre et un épanouissement ; aux spectateurs de se poser les bonnes questions, peut-être même d’obtenir certaines réponses.

 

 

Rue du Théâtre

Isabelle SPRIET, Quevaucamps, 1er février 2024