Les incertitudes du genre

Webthéâtre – Michel Voiturier – 29 janvier

Jouée par son auteur Guillaume Gallienne en 2008, mise en film par le même en 2013, cette pièce est reprise par le comédien belge Jean-François Breuer. Celui-ci, dans un précédent seul-en-scène, a incarné le sosie du chanteur homosexuel de Queen, Freddie Mercury.

 

Gallienne signe une pièce autobiographique dans laquelle il montre comment il a peiné à trouver son identité dans un climat familial compliqué. Jean-François Breuer prend sa succession et, comme son prédécesseur, endosse tous les rôles. Ce qui tient de la performance vu la quantité de comparses constituant l’environnement social du personnage central.

 

Dès son entrée en scène, le comédien se présente dans une gestuelle, un phrasé qui désignent habituellement aux yeux de tout un chacun un homosexuel. Prestation pas simple car il s’agit bien de quelqu’un qui s’efforce d’être une personne féminisée et doit pour cela demeurer dans les stéréotypes immédiatement décodables par une majorité du public sans tomber dans une lamentable caricature façon « Cage aux folles ».

Guillaume révèlera donc, au fil de la représentation, qu’il s’est persuadé être une fille puisqu’il pense que sa mère est déçue de n’avoir accouché que des garçons. La mise en scène de Patrice Mincke souligne cet aspect essentiel en suggérant, au bout d’un moment, le poids de cette génitrice dans la vie du jeune homme au moyen de la présence permanente d’un mannequin femme.

 

Le spectacle est basé sur cette ambiguïté identitaire déstabilisante. La dévotion filiale de Guillaume l’incite à chercher par tous les moyens à ressembler à son modèle maternel qui jamais ne découragera son jeu mentalement pernicieux. Lui demeure physiquement masculin tout en se comportant avec une part envahissante de féminité. Ceci ne va évidemment pas sans susciter des réactions plus ou moins virulentes chez ses condisciples en classe comme en internat, chez nombre d’adultes, à commencer par ses père et frères et à se poursuivre avec les médecins examinateurs des recrues du service militaire ainsi que dans les milieux gay.

 

Ce décalage récurrent avec les normes sociétales de la majorité est un des ressorts du comique de ce seul(e)-en-scène. On finit par accompagner le personnage dans son obsession, d’autant que lors de certaines séquences, il n’hésite pas à se servir de l’autodérision. Sans pour autant oublier le malaise qui habite une personnalité écartelée entre deux identités.

La fin de l’histoire ne lève pas totalement l’ambiguïté du départ. Certes, Guillaume semble avoir discerné la manipulation maternelle assumée que le titre résume à merveille. Il compte en effet se marier afin de s’intégrer au mieux dans la société. Ce que le metteur en scène résume : “C’est une sorte de coming out à l’envers.” Mais l’incertitude résiste : est-ce une façon d’accepter une bisexualité ? est-ce au contraire accepter l’équivoque en convolant avec un(e) transgenre ? Peut-être trouvera-t-on une réponse en lisant la biographie réelle de Guillaume Gallienne.

 

Toujours est-il que le spectacle, sans gommer le poids psychologique qui pèse sur le jeune Guillaume en quête de lui-même, partage avec la salle nombre de moments joyeux, drolatiques, rigolos voire hilarants. La mise en scène, allègre, fait la part belle aux accessoires qui ajoutent le piment de gags visuels bienvenus dans une prestation où les mots sont abondants et auxquels le comédien prend manifestement plaisir en changeant à bon escient de voix et d’attitudes.