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Par Thierry Fiorilli

Avec D’Or et de Sang, la compagnie Tempo d’Eole propose un étourdissant spectacle de cirque équestre et théâtral, qui aborde la thématique de l’identité, avec cinq acrobates (deux femmes et trois hommes), un musicien (clarinette et doudouk), quatre chevaux, un chien et deux techniciens. L’histoire, sans parole, est résolument humaniste, aussi poétique que virevoltante. Et pose des questions très présentes dans notre époque : comment être discipliné(e)s sans être soumis(es), comment faire preuve d’autorité sans autoritarisme, comment exalter la beauté sans être sexiste, comment être fiers et fières sans être orgueilleux et orgueilleuses ?


La quatrième création sous chapiteau de la compagnie, née en 2010 dans le Brabant Wallon,
tourne depuis un an dans le pays et à l’étranger – toujours sous le même chapiteau, monté et démonté chaque fois – et se pose pour plusieurs jours sur le site de l’ancien hippodrome de Boitsfort, à Uccle, fin septembre et début octobre, en partenariat avec le CCU. Entretien
avec Hélène Liétar, l’une des artistes de la compagnie itinérante, polyvalente comme tout le collectif.


Vos spectacles demandent un scénario écrit, comme au théâtre par exemple, ou on est plutôt dans un enchaînement de numéros, de performances ?
« L’essence de la compagnie, c’est de raconter des histoires avec des chevaux. De mêler le cirque, le théâtre, la musique et les arts équestres. De mettre la force et l’élégance du cheval au service d’une narration, de poser un regard sur le monde avec le cheval comme miroir. On pourrait se définir comme théâtre équestre mais les disciplines que nous pratiquons sont très circassiennes et amènent un langage de corps plus que de verbe. C’est pour ça qu’on se définit comme cirque équestre et théâtral. Pour chaque spectacle, nous démarrons de ce qui nous touche, de ce que nous souhaitons raconter ou questionner. Le précédent, A•Bois, parlait de la déforestation, du rapport à la nature et au vivant. D’Or et de Sang questionne les identités qu’une certaine image du cirque a construites : la relation animal-humain, femme-homme, maîtrise-imperfection. Une fois l’intention claire, il y a un important travail d’écriture et de mise en scène, réalisé par la compagnie en collaboration avec de nombreuses personnes (mise en scène, scénographie, costumes, lumière, musique,…). Le fait de pratiquer des disciplines de cirque et de travailler avec les chevaux amène une écriture en allers-retours : entre le sens à proprement parler et les essais sur le plateau. Nous faisons des laboratoires, travaillons avec les chevaux pour arriver à mettre nos disciplines au service de notre histoire. Parfois, il faut donc savoir renoncer à une idée, ou l’amener autrement. Parce que nous avons fait le choix de raconter des histoires sans paroles, avec des animaux, de la musique et nos corps. »


Ça veut dire que chaque spectacle est complètement différent ?
« Les décors, la scénographie et les personnages qu’on incarne changent totalement. Ils sont au service de l’histoire que l’on veut raconter et des choix artistiques posés pour le faire au mieux. A•Bois est un conte, par exemple, alors que D’Or et de Sangne l’est pas du tout. Mais certaines choses ne changent pas, ou impriment une identité artistique transversale à tous nos spectacles : le choix de formes poétiques, les thématiques du vivre ensemble, du rapport à la nature et au vivant, la manière d’accueillir et d’accompagner le public, le chapiteau, le cheval, la musique live et les compositions originales, les disciplines circassiennes, la dimensions artisanale et la polyvalence. La volonté de faire des spectacles accessibles à tous. »

 

D’Or et de Sang est plutôt un manifeste ?
« Je ne sais pas si c’est un manifeste. La compagnie fait des spectacles pour questionner la société contemporaine avec le cheval comme miroir. D’Or et de Sang est une histoire dans laquelle on espère emmener les gens. Les bousculer, les emmener dans notre questionnement. Notre but, c’est de poser des questions, pas de donner des réponses. Ici, sur l’identité, les codes et les cases qui la définissent et les rapports de domination qui la soustendent. Mais tant la forme que la thématique sont abordables pour les enfants dès 6 ans. C’est joyeux, c’est poétique. Et puis, la force du chapiteau et du spectacle avec chevaux, c’est qu’ils rapprochent vraiment tous les publics. »


Comment vous définissez-vous comme artiste ?
« C’est un métier de très grande polyvalence. Nous apparaissons sur scène mais sommes aussi gestionnaires, techniciens, etc. Nous montons et démontons le chapiteau, tenons la boutique, accueillons le public, soignons nos chevaux. Bref, nous ne sommes pas qu’interprètes. Nous assumons une forme complète – un mode de vie et une forme d’artisanat. Au quotidien, le lien et les soins aux chevaux prennent énormément de temps. Parce que, Tempo d’Eole, c’est un collectif avec des animaux. On travaille avec les chevaux comme avec des collègues, ce sont de vrais compagnons, de vie et de travail, à qui on laisse une place d’acteurs sur scène. Même si, à voir les réactions du public, c’est le chien, Iro, un staffie, qui est la vedette du spectacle ! Indubitablement. »