Passeport, Un conte de faits, moderne

Propos recueillis par Françoise Laeckmann

Dans Passeport, Alexis Michalik raconte l’histoire d’Issa, un jeune Érythréen amnésique rescapé de la « jungle » de Calais, dont le seul lien au passé est un passeport. Artiste complet — acteur,  dramaturge, metteur en scène, réalisateur et écrivain — Alexis Michalik s’impose comme l’une des figures majeures du théâtre contemporain français. Lauréat de cinq Molières, avec Passeport, il continue d’explorer les grandes questions de notre époque par une écriture accessible, sensible et profondément empathique… et un retournement de situation remarquable.

 

Passeport pour l’humanité

 

Votre pièce Passeport résonne particulièrement avec l’actualité. Pourtant, vous l’avez écrite il y a plus d’un an. Quelle en a été la genèse ?

J’ai eu l’idée de Passeport quand j’étaisen Guadeloupe. J’y ai passé deux mois,et je faisais beaucoup de route. C’estsouvent en conduisant que les idéesme viennent — et, comme souventchez moi, elles commencent par la fin.C’est la fin du spectacle qui m’a donnéenvie d’écrire cette histoire. Très vite,j’ai su que tout devait commencerdans un camp de Calais. L’image étaitlà : un lieu de passage, de tension, maisaussi d’humanité. Tout le reste s’estconstruit à partir de ça.

 

Pour évoquer le processusd’intégration — et plus largementl’immigration en France — vousavez choisi d’ancrer votre récitdans la « jungle » de Calais.Qu’est-ce qui vous a conduità partir de ce lieu?

Le camp de Calais, c’est l’endroit oùse retrouvent tous ceux qui veulentpasser en Angleterre : les Syriens, lesAfghans, les Soudanais, les Érythréens,les Éthiopiens… En 2015, ce camp estdevenu une véritable ville, avec jusqu’àquinze mille réfugiés à son apogée.C’est un endroit propice à toutes leshistoires, à tous les drames, maisaussi à des rencontres incroyables.En me renseignant sur Calais, je mesuis rendu compte que c’était un lieuque tout le monde croit connaître,sans vraiment le connaître. J’ai vu desreportages, j’ai lu des témoignages…et je me suis dit que c’était un terrainpuissant pour raconter des destinshumains, au-delà des clichés.

 

Vous affirmez : « L’empathie estle moteur de mon travail, celuiqui conduit vers la tolérance. ». À quel point l’empathie estelleimportante lorsque vousimaginez vos personnages ?

C’est essentiel. Pour écrire unpersonnage, il faut d’abord l’aimer— ou au moins le comprendre. Même quand il agit mal, il faut trouver la logique émotionnelle qui le pousse à agir. L’empathie, c’est ce qui permet de dépasser le jugement et d’entrer dans la complexité du réel. Au théâtre, cela crée des ponts entre des univers qui ne se rencontreraient pas dans la vie. C’est aussi ce qui permet au public de se reconnaître dans des destins très éloignés du sien.


Twist final remarquable

 

On retrouve dans Passeport votre « patte » : un esprit de troupe, des comédiens jouant plusieurs rôles, des décors évolutifs, une forme chorégraphiée. D’où cela vient-il ?
J’ai toujours aimé le théâtre collectif, celui qui repose sur l’énergie d’une troupe plus que sur la mise en avant d’un individu. J’aime quand un spectacle respire le plaisir du jeu, la complicité entre les acteurs. Le fait que les comédiens changent de rôle ou de décor à vue, c’est une manière de célébrer la magie du théâtre, cette capacité à tout inventer avec peu. Cela vient sûrement de mes débuts (NDLR – Alexis Michalik a travaillé avec Ariane Mnouchkine, Peter Brook, Wajdi Mouawad),  quand il fallait tout faire soi-même, dans un esprit d’invention et de liberté.

 

Cette pièce repose sur un twist final remarquable. Surprendre le spectateur, est-ce une de vos obsessions ?
Oui, sans doute. J’aime les récits qui déjouent les attentes. Le twist n’est pas un effet de manche, c’est un moyen de réactiver le regard du spectateur, de lui faire reconsidérer ce qu’il vient de voir. Dans Passeport, ce renversement final rappelle que derrière les grandes questions politiques, il y a toujours des histoires humaines, des visages, des choix intimes. Le théâtre, pour moi, c’est ça : surprendre pour émouvoir, et émouvoir pour éveiller.Â