Quatre œuvres encore peu représentées, dont un voluptueux Sibélius et un Fauré tout en dentelles : la pianiste Élodie Vignon, le chef d’orchestre Éric Lederhandler et l’ensemble Czech Virtuosi composent un programme qui traverse l’Europe, de la Finlande à l’Andalousie en passant par la France, à l’aube de la modernité.
Sibélius, Fauré, de Falla, et retour à Sibélius… Comment avez-vous construit le programme de ce disque ?
EV : Je souhaitais un disque qui fasse la part belle à l’orchestre. Mon amour pour le début du 20ème siècle nous a portés assez rapidement vers les Nuits dans les jardins d’Espagne. De Falla fait appel à un pianiste soliste dans cette pièce qui est en même temps une symphonie concertante. Ca permettait de poursuivre le travail entamé dans ma discographie et nous avons rapidement fait le lien avec la ballade de Fauré (initialement écrite pour piano seul puis réorchestrée). Musicalement, je cherchais aussi à poursuivre l’exploration initiée dans mes précédents albums : la recherche de sonorités, articulations, contrastes, qui sont des problématiques similaires à celles rencontrées par un chef d’orchestre. J’ai donc ensuite passé la main à Éric pour le complément de programme.
EE : Sibélius est un compositeur avec lequel j’ai toujours eu de grandes affinités. C’est cohérent chronologiquement (fin 19ème) mais aussi pour son approche « nationale » de la musique, avec l’expression d’un substrat culturel populaire fort, qui résonne avec la musique de Manuel de Falla. J’ai volontairement choisi deux aspects les plus extrêmes de sa musique : le côté légendaire, héroïque tiré des Légendes de Lemminkaïnen, une pièce de concert qui nécessite des cordes redoutablement vaillantes et dont je savais que les Czech Virtuosi s’empareraient avec brio ! Et le Sibélius abstrait, éthéré du Barde, pièce qui exige une concentration extrême, très peu jouée et qui a peu la faveur des concerts. J’invite d’ailleurs à écouter le disque dans l’ordre et le contexte proposés : le barde, c’est le conteur de la saga dans la culture de Sibélius, il est incarné par une harpe qui ponctue l’orchestre, c’est vraiment la mise en atmosphères d’une situation, d’un personnage mythique qui raconte une histoire. Je trouve que c’est très beau que ce disque, après toutes ses couleurs, se clôture sur une espèce de point d’interrogation, nous laissant un peu avec un pied en l’air….
EV : C’est une trajectoire musicale qui propose finalement une forme d’élévation !
Et l’élévation, c’est la trajectoire des Songes… justement, le titre du disque !
EV : Oui, on termine avec quelque chose d’onirique après un chemin musical qui peut faire penser à la figure de wanderer (le voyageur) mais qui englobe aussi le voyage intérieur. En explorant des couleurs différentes de l’Europe à un moment clé de son histoire, à l’aube de la modernité, on est dans quelque chose d’atmosphérique, une musique qui travaille les impressions du moment, sensations, odeurs, couleurs, … Contrairement au romantisme qui exprime des sentiments, on est plutôt ici dans la sensation. Songes est aussi la continuité des enregistrements précédents avec Cyprès : Dans l’air du soir, D’ombres,… des titres qui font référence à une musique qui peut se comparer à de la poésie, en ce qu’elle porte l’empreinte d’un moment présent.
EE : « Songer », c’est rêver, mais aussi penser ; un mot à la fois directionnel et suffisamment vague pour que chacun.e puisse s’y retrouver au travers des pièces.
En tant que pianiste, d’où vient ce désir d’un disque avec orchestre ?
EE : Quand on s’est rencontrés, une sympathie et une affinité se sont révélées, qui ont d’abord donné lieu à une collaboration en concert, pendant laquelle j’ai pu parler à Élodie de mes amis de l’ensemble Czech Virtuosi : un consortium des meilleurs éléments de la Philharmonie de Brno et de l’Opéra Janáček, avec des musiciens free-lance également, le tout cristallisé en un groupe très stable, extrêmement compétent, vraiment unitaire – un ensemble à la fois homogène et flexible. La réunion de ces musiciens, de ma relation avec eux et de l’imagination d’Élodie, a créé l’alchimie de ce projet.
Éric, vous êtes fondateur de l’ensemble Nuove Musiche et êtes chef invité de plusieurs autres orchestres dans le monde, pourquoi avoir choisi les Czech Virtuosi pour ce disque ?
EE : Le Conservatoire de Brno dispose d’un lieu d’enregistrement, d’une équipe, d’une structure qui encadre les aspects plus « pratiques » avec énormément de finesse et de souplesse, de compétence et de fiabilité : autant d’atouts qui, en tant que chef d’orchestre, me permettaient de pouvoir me concentrer que la musique. Étant le chef honoraire des Czech Virtuosi, ce sont aussi des musiciens que je connais depuis longtemps. Ces convergences rendaient les choses extrêmement confortables et nous permettaient de travailler sur des bases de confiance mutuelle.
Élodie, comment s’est déroulée la rencontre avec l’orchestre ?
Est-ce ce même orchestre qui vous accompagnera en concert ?