L’interview de Julie Gayet par l’Echo

“L’urgence aujourd’hui, c’est de donner aux femmes les moyens financiers”

Par MARINA LAURENT

 

Plus bière que champagne pour l’Apéro de L’Echo, Julie Gayet démontre, chiffres à l’appui, la persistance inégalité entre les hommes et les femmes au cinéma et à la télévision.

 

RTL House, le centre névralgique de l’information et du divertissement, mais aussi le temple des jolies filles. C’est ici que nous a fixé rendez-vous Julie Gayet pour un apéro rapido à l’occasion de son bref passage – quelques heures à peine – dans la capitale pour la promotion du spectacle “Je ne serais pas arrivée là si” qu’elle joue prochainement au Centre Culturel d’Uccle. Une pièce de la journaliste Annick Cojean qui, après avoir interviewé 30 femmes inspirantes pour le quotidien Le Monde, a décidé de porter leur voix sur scène à travers celles de Julie Gayet et Julie Henry. Nous attendons donc Julie Gayet au Bar VIP de la chaîne, entre deux speakerines très sympathiques qui répètent et la maquilleuse qui plie bagage avant de reprendre ses pinceaux pour les émissions du soir.

 

D’emblée, il faut le dire: Julie Gayet est une chic fille. Une fille qui s’exclame très sérieusement en pénétrant dans le bar “Mais c’est sympaaaaaaaa!”. Et ce, malgré le store qui dégringole, malgré le chariot rempli de vaisselle et malgré le fait qu’il n’y ait plus de table. Non rien que des tabourets éparpillés, dont deux que nous avons traînés près d’un l’appui de fenêtre pour faire “comme si” et sur lequel l’attachée de presse a posé un coca light.

 

Agnès Varda comme référence

S’il n’y avait eu ni contrainte de temps ni contrainte géographique, Julie Gayet nous aurait sans doute proposé un apéritif sur une terrasse à Paris, un rituel bien ancré, mais renforcé plus encore pour elle depuis les attentats et “Je suis Charlie”. “Sinon, on aurait pu aller à Tulle aussi”, lâche-t-elle (fief de son compagnon François Hollande, NDLR). Rapidement, nous comprenons que Julie Gayet a l’apéro éclectique, “parfois à la Closerie des Lilas pour un Whisky Sour” comme Samuel Beckett, parfois à l’Hemingway, le célèbre bar du Ritz ou alors “une bière au cul du camion avec les techniciens à la fin d’un tournage”. En tout cas, elle l’assure, elle est plus bière que champagne.

 

Rapidement aussi, nous comprenons qu’un apéro de 20 minutes avec Julie Gayet c’est un peu comme une chasse aux papillons avec un grand trou dans le filet tant la belle peut être loquace quand il s’agit de parler des autres et peu diserte quand il s’agit d’elle-même. Bref, prendre un apéro avec Julie Gayet c’est beaucoup lui courir après. Du coup, il faut bien calculer son coup. Et c’est en lui posant la question du “Et vous, vous n’en seriez pas arrivée là aujourd’hui si….” que le papillon se pose et ouvre ses deux grandes ailes. Assise sur son tabouret, elle se verse son coca light dans un gobelet en carton et réfléchit en portant son regard par la fenêtre avant de répliquer quelques minutes plus tard “Je n’en serais pas arrivée là sans Agnès Varda”.

 

C’est en 1994 que l’actrice rencontrait celle sans qui elle ne serait pas devenue plus tard productrice. “Elle m’a ouvert les yeux sur sa manière de vivre ‘le métier’, elle avait une vision très concrète du cinéma, mais aussi de sa vie de femme ou de mère, elle ne se coulait pas dans la ‘projection de son métier’ comme souvent les hommes en parlent, à l’inverse des hommes aussi elle ne dissociait pas son métier de sa vie personnelle. Sans elle, je n’aurais pas fait mes enfants à 25 ans, sans elle non plus je n’aurais pas fait la même carrière. Comme pour beaucoup de femmes, on la célébrait en lui remettant tout un tas de prix, mais en attendant on ne lui donnait pas d’argent pour réaliser ses films”.

 

La Fondation des Femmes

Julie Gayet poursuit ensuite sur La Fondation des Femmes dans laquelle elle est très impliquée depuis son lancement en 2016 et qui est aujourd’hui en plein essor. “Vous savez que 30 millions d’amis (fondation qui combat la souffrance animale, NDLR) lève 47 millions d’euros par an là où pour la Fondation pour les femmes on levait péniblement 500.000 euros pour les reverser ensuite à des associations sur le terrain.”

 

Depuis, la Fondation s’est structurée pour mener plus de campagnes de fundraising parce que l’argent c’est le nerf de la guerre et sans lui on ne peut pas régler les questions d’égalité ou de parité. “Les femmes veulent de l’argent! L’urgence aujourd’hui, c’est de leur donner les moyens”, insiste-t-elle avec passion.

 

Pour situer, Julie Gayet nous explique qu’en France par exemple, seuls 2% des fonds débloqués pour “la tech” vont à des entreprises dirigées par des femmes. Et quand elle disait qu’Agnès Varda ne trouvait pas de financement pour ses films, ce n’était pas “une appréciation, mais un fait”.

 

“Pour que les femmes comptent, on va les compter, nous avons donc fait des études et nous avons des chiffres. Concernant les réalisatrices, les chiffres sont éloquents, elles sont bien moins nombreuses dans le cinéma, mais c’est encore pire dans le monde de la télévision où elles n’étaient que 8% et c’est totalement inexplicable dans la mesure où la parité homme-femme est parfaite dans les écoles de réalisation”.

 

Nécessité des quotas

À cet égard, Julie Gayet salue l’initiative de la présidente de France Télévision d’instaurer des quotas de femmes réalisatrices pour les fictions, 30% annoncés au départ, mais qui bientôt pourraient passer à 50%.

 

“Les hommes sont mieux payés dans la mesure où 80% des rôles géniaux sont écrits pour des hommes.”

 

“Sans les quotas, on n’aurait jamais eu autant de femmes en politique alors même si ça peut en choquer certains, les quotas sont nécessaires”. Concernant les actrices, la situation est très différente, explique-t-elle encore, dans les écoles elles sont 80% pour 20% d’hommes. Pas étonnant donc que “les hommes soient mieux payés dans la mesure où 80% des rôles géniaux sont écrits pour des hommes et que si on vire un acteur, on a du mal à lui trouver un remplaçant là où on trouvera toujours une fille pour remplacer une actrice”.

 

En revanche, la révolution portée par le mouvement Metoo a vraiment amélioré leur condition sur les plateaux en instaurant des protocoles pour prévenir ou dénoncer les violences sexistes et sexuelles. Et quand Julie Gayet entend certains hommes railler Metoo en lançant des “Aujourd’hui on a peur de prendre l’ascenseur avec une femme”, elle a envie de leur dire: “Oui mon vieux, mais moi, depuis toujours, je dois faire attention quand je marche seule dans la rue le soir ou que je tape mon code sous le porche pour rentrer chez moi.”

 

On aurait bien aimé continuer à taper le carton avec Julie Gayet, d’autant qu’elle avait encore plein de choses intéressantes à nous raconter, comme la “disparition totale des femmes de plus de 50 ans dans l’espace audiovisuel, mais aussi de celles des personnes âgées, toutes ces choses qui en disent tellement sur notre société et sur lesquelles il faut à présent avancer”. Mais pour l’heure, le Thalys ne l’attendra pas et Julie Gayet s’envole déjà.