L’interview de Julie Gayet

Quelle idée d’adapter pour la scène des interviews publiées dans Le Monde ! Virginie Despentes, Gisèle Halimi, Amélie Nothomb, Christine Taubira… six femmes répondent à des questions sur leur parcours. Résultat : ce très original spectacle à deux où chaque comédienne incarne alternativement l’intervieweuse et l’interviewée. Ça n’est pas facile car il ne s’agit pas de « mimer » l’une et l’autre. Elles restent elles-mêmes, Judith et Julie, tout en glissant, texte en main, dans l’esprit de leur personnalité qui prend vie à travers elles.

 

Chaque femme interprétée raconte ses difficultés, l’ostracisme qu’elle a dû combattre, surtout Gisèle Halimi. On rit souvent car elles ont beau en avoir bavé, toutes gardent leur sens de l’humour. On découvre aussi que certaines ont subi les pires outrages. Et on en ressort… régénéré.

 

Comment s’est faite votre rencontre avec le spectacle « Je ne serais pas arrivée là, si… » ?

« C’est une proposition directe qui m’est venue de la comédienne Judith Henry, qui à la suite d’une lecture du livre d’Annick Cojean « Je ne serais pas arrivée là si…, 27 femmes racontent» a trouvé qu’il y avait quelque chose à faire avec cette écriture si empathique et avec cette question, absolue et fascinante. Question qui nous oblige à faire un pas de côté et à nous dire « mais, au fait, oui, pourquoi et comment en suis-je arrivée là ?

Judith Henry est ensuite venue me chercher pour des lectures de ces mêmes textes au Festival Paroles de citoyennes. Ensemble, on a fait un tri de textes, à partir d’une vingtaine d’interviews de ces femmes puissantes, on en a gardé douze, puis dix jusqu’à l’évidence des six dernières personnalités retenues. Ces Six offraient une belle résonance entre elles, et n’étaient pas forcément toutes féministes. Gisèle Halimi oui, Amélie Nothomb, non. Mais elles étaient au même diapason sur le reste, la condition des femmes, leur rapport à leurs mères, leur rapport aux violences… L’idée nous est venue d’en faire un spectacle. »

 

Dans quelle mesure ce spectacle rejoint-il votre implication dans La Fondation des femmes ?

« Je suis très active au sein de La Fondation des Femmes qui soutient toutes les associations de femmes en France et qui est apparue au moment où on a été percuté par l’affaire Weinstein, le mouvement Metoo, la manif anti-mariage pour tous en France… Et donc, un spectacle qui fait découvrir le parcours de femmes qui ont « réussi » est très inspirant et nécessaire aujourd’hui. En voyant ce spectacle, on se rend compte à quel point des voix plus anciennes, comme celle de Gisèle Halimi, résonnent de manière très contemporaine aujourd’hui.

On connaît moins Nina Bouraoui, l’auteure, mais son portrait sur scène et ce qu’elle raconte sur la réaction au Mariage pour Tous, sur la différence, sur la fragilité des choses qui ne sont jamais acquises, me la rend particulièrement touchante, et drôle, car comme tous ces modèles de femmes elle a, heureusement, beaucoup d’humour.

Finalement, ces interviews permettent de se rappeler la phrase de Gisèle Halimi : « Quand est-ce que les femmes se regrouperont et comprendront qu’ensemble elles ont une force incroyable ? »

 

Et justement, puisqu’on en parle Julie Gayet, vous, vous ne seriez pas arrivée là si…?

« (Rires )… alors « Je ne serais pas arrivée là si … » probablement, si je n’avais pas eu des femmes dans ma famille comme une arrière-grand-mère (Thérèse Gayet) qui a été une figure incroyable, qui a fait partie des trois premières femmes médecins en France. Et qui, sûrement, m’a permis d’ouvrir le champ des possibles, je pouvais m’autoriser à choisir ou en tous les cas à ne pas m’interdire et à ne pas m’autocensurer, et qui m’a donné surtout cette image d’une femme indépendante qui gagnait sa vie, et ça, je dois avouer qu’avoir eu des figures de femme comme elle, ça été très très important. Après, je ne serais pas arrivée là non plus si je n’avais pas fait toutes ces rencontres que l’on fait dans la vie, et parfois merveilleuses, et si je n’avais pas rencontré François*, je ne serais peut-être pas non plus arrivée là…(rires). »

 

*François Hollande, ancien président de la République française (2012 -2017)

 

Françoise Laeckmann, septembre 2021