Madame Bovary, c’est moi!

Propos recueillis par Françoise Laeckmann

David Kadouch – l’enfant prodige qui a grandi bercé par les grands opéras, Chopin et les musiques tristes et fut invité par Itzhak Perlman à se produire, à l’âge de 15 ans, au Carnegie Hall – rendra hommage avec originalité et élégance aux compositrices et musiciennes du XIXe siècle trop longtemps restées dans l’ombre. Celles qu’aurait pu écouter Madame Bovary durant sa courte vie.

 

Ambiance particulière et vrai bonheur d’écoute pour les amoureux du piano romantique en perspective! Un récital de pièces rares (signées Fanny Mendelssohn, Pauline Viardot, Louise Farrenc, Clara Schumann) et d’autres célèbres : Nocturnes op. 9, de Chopin, les Réminiscences de Lucia di Lamermoor, de Franz Liszt et la délicieuse Valse de Coppélia, de Léo Delibes, servies par un jeu admirablement épuré. Celui de David Kadouch, le pianiste-conteur. Il déroule le fil de la vie d’Emma Bovary, ce qu’elle a été et ce qu’elle aurait pu être si…


Comment vous est venue l’idée deces «Musiques de Madame Bovary»?

D’une ambition du lecteur que je suis! J’avais depuis toujours envie d’établir une passerelle entre littérature et musique. Je lis beaucoup, à côté de la musique ça a toujours été mon autre grande passion, avec la mise en scène au théâtre. Avec ce projet, je me sens justement un peu comme un metteur en scène qui agence les choses pour les mettre en lumière différemment. Ensuite, il y a bien sûr l’amour que j’éprouve pour Madame Bovary depuis mon adolescence, J’ai lu ce livre à l’époque où je préparais mon bac. Solitude, recherche du bonheur, tout cela me parlait; ça a été
une révélation. Et puis, un peu comme tout le monde, je n’avais pas envie qu’Emma meure, je voulais qu’elle reste en vie… Et je suis revenu à ce Flaubert après avoir lu Aurélien, d’Aragon, où j’ai trouvé qu’il y a un discours musical très prononcé. Flaubert n’était pas je pense quelqu’un de très sensible à la musique, mais le personnage d’Emma, à plusieurs niveaux, trouve en l’art musical une transcendance. Le lien m’a donc sauté aux yeux! Ainsi est née l’idée de créer un compagnon à ce livre que j’aime tant, en parlant également de compositrices aux destins assez sombres car si  certaines d’entre elles étaient célébrées à leur époque (Louise Farrenc, Pauline Viardot), aucune n’est passée à la postérité.
J’ai donc voulu imaginer la musique qu’Emma Bovary aurait pu écouter pendant sa courte vie, en invoquant les femmes compositrices souvent occultées de l’époque de Flaubert. Avec cette question en suspens : le destin, le suicide d’Emma Bovary, aurait-il pu être évité si ces créatrices avaient eu la gloire qu’elles méritaient?


Fanny Mendelssohn, comme les autres compositrices choisies, joue un rôle essentiel dans la construction de votre programme. Pourquoi y utilisez-vous des extraits de Das Jahr (L’Année) ?
Ces créatrices, ce sont les compositrices de l’époque du roman de Gustave Flaubert. Ces musiciennes étaient appelées jusqu’à maintenant des muses. Mais elles n’étaient pas des muses,
elles étaient en réalité des génies ! Les effets de grande virtuosité créés par Fanny Mendelssohn prouvent, si besoin était, que cette femme était une grande créatrice. Mais, on est au XIXe siècle, sa condition sociale, les interdictions de son père, de son frère, ont ruiné sa carrière.
En faisant des recherches sur ce qu’elle avait écrit, j’ai découvert le recueil Das Jahr. Je réfléchissais à la manière de créer un compagnonnage à un livre : dans Madame Bovary, on découvre une chronologie qui commence avec un « code couleur » très optimiste et évolue
vers l’obscurité. En ce sens, l’œuvre de Fanny Mendelssohn s’est imposée à moi comme une évidence. J’ai déchiffré les mois correspondant au roman: ça marchait de façon étonnante, comme par magie ! Dans Septembre, Emma va au bal, d’où elle ressort éblouie et en même temps profondément mélancolique, de la mélancolie d’une âme qui se cherche ; dans Mars, mois du suicide d’Emma, Fanny Mendelssohn cite le choral «Christ est ressuscité »…


Si les compositrices occupent une place de choix dans vos Musiques de Madame Bovary, les compositeurs ne manquent pas pour autant: Chopin, Delibes, Liszt…
Je les ai choisis en fonction de la relation au personnage d’Emma. S’agissant de Chopin par exemple, les trois Nocturnes op. 9 sont dédiés à Marie Pleyel, grande virtuose de l’époque, divorcée, qui avait épousé Camille Pleyel avec un esprit très libre. Beaucoup de gens sont tombés
amoureux d’elle. Je me suis dit: qu’est-ce que Flaubert aurait écrit d’Emma si elle était allée dans un salon parisien – Rouen était déjà le bout du monde pour elle ! – pour voir cette dame libre jouer?