Une mise en scène selon Manet, enfin non justement, selon de nouveaux critères
Olympia le tableau peint par Edouard Manet en 1863 a créé polémique lors de sa création. Le principal sujet du débat est cette femme nue au premier plan, Victorine. On ne parle pas de celle qui tend le bouquet de fleur derrière le lit : la femme debout qui tend les fleurs à la femme allongée. Elle se prénommait Laure. Mais l’effacement manifeste de Laure au profit de la femme blanche se double d’un deuxième effacement : le nom du modèle nu, justement – Victorine Meurent – qui était peintre elle aussi, reconnue et exposée. (La bande à) Laura tente de redonner de l’épaisseur – historique, sociale, symbolique – à la présence des deux femmes du tableau, à défaut de pouvoir donner un nom de famille à Laure, à les (re)mettre sur un pied d’égalité. A l’aide des éléments réels composant les tableaux, draps, coussins, chat, fleurs, bijoux,… quatre performeuses mènent une réflexion sensible et infiniment poétique sur la représentation des corps féminins et du corps noir, et ses échos dans l’histoire de l’art. Une invitation à stimuler le regard critique sur la place des modèles dits « noirs » dans l’art occidental, ainsi que sur celle des femmes artistes qui disparaissent au profit des peintres pour lesquels elles ont posé. Un joyeux travail de sape fait en « bande ».
Musique Stéphane Monteiro a.k.a XtroniK + Marie Jaëll (Valses mélancholiques : No 1, Pas trop lentement ; Six esquisses romantiques pour piano : No 1, Les ombres ; Six esquisses romantiques pour piano : No 3, Métamorphose) + Chiquinha Gonzaga, air de Atraente + Giuseppe Verdi (La Traviata, Acte 3, Prélude) 2
Une mise en scène selon Manet, enfin non justement, selon de nouveaux critères.
Olympia le tableau peint par Edouard Manet en 1863 a fait scandale lors de sa création. Le principal sujet du débat est cette femme nue au premier plan, Victorine. On ne parle pas de celle qui tend le bouquet derrière le lit : la femme debout qui tend les fleurs à la femme allongée. Elle se prénommait Laure.
Questions à Gaëlle Bourges, créatrice du spectacle.
Votre création s’inspire de l’Olympia d’Édouard Manet. Comment votre intérêt s’est-il porté sur ce célèbre tableau de l’histoire de l’art ?
GB : Avec (La bande à) LAURA, je voulais essayer de mettre ce scandale à portée des enfants, car je pense qu’on comprend très jeune qu’il y a des personnes et des métiers qui sont stigmatisés. (…) Le scandale pour moi a d’ailleurs été d’apprendre, lors de l’exposition « Le modèle noir » au Musée d’Orsay en 2018, qu’on connaissait depuis longtemps une part de l’identité de la 2e personne ayant posé pour ce tableau : une prénommée Laure qui a été purement et simplement éjectée de l’histoire de l’art.
Remettre Laure en lumière, s’agit-il pour vous d’un acte de réhabilitation ?
GB : Oui, c’est tout à fait ça. « Réhabiliter » Laure et Victorine Meurent dans les 3 sens du terme du verbe : Dans le sens ancien : Rétablir des droits et des privilèges perdus (ces deux femmes ont posé pour un des tableaux les plus connus de l’histoire de l’art (…) et en ont tiré peu de droits et de privilèges, voire aucun). Dans le sens plus commun aujourd’hui : Rétablir dans l’estime, dans la considération d’autrui (les modèles féminins qui n’étaient pas issus du milieu bourgeois étaient mal considérés). Et dans le 3e sens : Remettre en état, rénover – au sens ici de remettre en état de bonne marche l’histoire qui oublie la majorité des femmes ; rénover l’histoire de l’art.
Denise Murrell, l’historienne de l’art qui a écrit The Black Model from Manet and Matisse to Today défend l’idée selon laquelle dans Olympia « Manet montre une femme noire libre ». Qu’en pensez-vous ?
GB : On ne saura jamais ce que Manet a pensé ni ce qu’il a voulu montrer. Il ne parlait pas de sa peinture. Ce qu’il reste du scandale créé par le tableau, c’est la radicalité de la forme d’Olympia : l’absence de profondeur, l’aplat des couleurs, le corps nu allongé qui prend tout l’espace du tableau. Mais une fois que j’ai pris cette précaution (difficile de dire l’indicible de la peinture), c’est justement la forme d’Olympia qui tend à donner raison à Denise Murrell : les corps des deux femmes sont quasiment sur le même plan dans le tableau. À partir de ce constat, toutes les interprétations sont possibles, mais les deux femmes sont en effet éclatantes de présence. Ce qui est sûr, c’est que Manet change le modèle de la peinture européenne avec Olympia, parce qu’il montre ce qu’il voit : il y a bien un changement de paradigme à Paris au milieu du 19e siècle (la 2e abolition de l’esclavage date de 1848). Des parisiens et parisiennes noir.e.s vivent et travaillent dans la capitae, et il.elle.s sont artistes, intellectuel.le.s, ouvriers.ière.s, modèles pour les peintres, etc., tout comme les parisiens et parisiennes blanc.he.s. L’Europe – qui après avoir esclavagisé massivement, continue sa destruction en colonisant et industrialisant – est en train de changer. C’est cette dureté que Manet montre aussi.
Interview Françoise Laeckmann