Des quartiers populaires de Chicago à la NASA, la petite histoire d’un jeune rebelle américain croise la grande histoire de la conquête spatiale.
1960, Chicago Passionné d’astronomie, le jeune Jack Mancini partage sa vie entre un job à la pizzeria, les nuits en garde à vue pour comportement violent et une mère irresponsable. Lorsqu’un professeur en psychologie détecte ses facultés hors-normes et lui offre une place dans une prestigieuse université, sa vie bascule. La Course des Géants s’inspire de faits réels de la grande conquête spatiale lors de la guerre froide et des missions Apollo ayant marqué l’histoire à jamais. La mise en scène est précise et spectaculaire. Mélody Mourey nous embarque sur une autre planète, avec des sensations fortes, passant du rire à la stupeur, on finit avec des étoiles dans les yeux !
“Un spectacle totalement réjouissant. Une mise en scène – presque une chorégraphie – épatante d’ingéniosité, des décors qui nous transportent dans l’Amérique des sixties, six formidables comédiens qui interprètent 30 personnages nous tenant en haleine entre le rire et l’émotion, c’est épique, burlesque et historique.”
TTSO
Auréolée de trois nominations aux Molière, la pièce de Mélody Mourey se pose à Bruxelles. La petite histoire d’un jeune défavorisé croise la grande histoire pour nous emmener jusqu’à la lune.
Cinématographiquement, La course des géants pourrait être un croisement entre Good Will Hunting (pour l’ascension d’un jeune garçon surdoué issu d’un milieu défavorisé) et Apollo 13 (pour sa chronique de la conquête spatiale américaine). Deux influences que Mélody Mourey assume pleinement, tout comme ses emprunts historiques au moment de nous raconter la genèse de sa pièce à succès (trois nominations aux Molière cette année) même si l’autrice et metteuse en scène insiste aussi sur la grande part fictionnelle de son œuvre : « Je me suis intéressée à l’Histoire, j’ai fait des recherches pour étayer le contexte de la guerre froide et de la course aux étoiles entre les Etats-Unis et l’URSS avec notamment tout un travail pour trouver des images d’archives qui nourrissent les vidéos du spectacle mais, pour le reste, j’ai totalement construit les personnages. Jack Mancini notamment, le personnage principal, est totalement inventé. »
Fils d’immigrés italiens, le jeune Jack Mancini est passionné par les étoiles. Sa vie pourtant n’a rien de céleste : dans le Chicago des années 60, il partage son temps entre une mère droguée, un boulot sous-payé dans une pizzeria, des activités de dealer à la petite semaine et des passages en garde à vue quand tout cela dérape. Jusqu’à ce qu’un jour, un professeur de psychologie décèle en lui des capacités hors norme qui pourraient lui ouvrir les portes d’une prestigieuse université et, pourquoi pas ?, le guider vers la Nasa, alors engagée dans le programme Mercury, bientôt suivi par Gemini puis Apollo.
Rêve américain nuancé
Des quartiers populaires de Chicago jusqu’au centre de contrôle des vols de Houston, La course des géants croise donc la petite histoire d’un jeune rebelle américain et la grande histoire de la conquête spatiale. « Au départ de la pièce, il y avait l’envie de travailler sur les rêves d’enfant », se souvient Mélody Mourey. « Or, l’Espace, c’est l’illustration la plus folle du rêve, ce qui semble le plus inaccessible et en même temps le plus partagé par les enfants. » Tissant le destin extraordinaire d’un petit garçon ordinaire, la dramaturge a pris soin d’y greffer une trame historique : « Un des moments forts du spectacle est très inspiré de l’histoire vraie d’Apollo 13. » Dans sa première pièce déjà – Les crapauds fous – inspirée de deux résistants polonais ayant sauvé des milliers de vies pendant la Seconde Guerre mondiale, Mélody Mourey puisait dans l’étoffe des héros. Cette fois, c’est donc plutôt la guerre froide qui nourrit son imagination, sur fond de rêve américain. Mais attention, pas question de sombrer dans l’élégie béate : « Il y a des nuances dans cette illustration du rêve américain. Sans trop en dire, disons que Jack Mancini se fera aussi manipuler. »
Sur scène, six comédiens endossent une trentaine de personnages à un rythme mi-cinématographique, mi-chorégraphique grâce, notamment, à des projections visuelles immersives. « Les changements de lieux sont nombreux : on voyage entre une pizzeria, un aéroport, une voiture, la maison de Jack, un bar, le commissariat de police, un bureau de la Nasa. Ça demande des transitions rapides pour que ça reste fluide et c’est cela qui rend l’ensemble chorégraphique, avec un rythme proche de celui des séries ou du cinéma. » Composition musicale originale, mise en scène nerveuse : cette fresque historique et humaine vous fera voyager dans le temps et dans l’espace. Voire même jusqu’à la lune. Houston, we have a (wonderful) problem ! Ou, comme le dirait la devise de la Nasa : Per aspera ad astra (« Par les chemins difficiles, jusqu’aux étoiles »).
Catherine Makereel – Le Soir – MAD – 05/10/2022
Mélody Mourey n’a que deux spectacles à son actif mais elle a, d’emblée, su toucher le public en racontant des destins extraordinaires. Après Les Crapauds fous, place à La Course des géants. Ou comment passer des quartiers populaires de Chicago à la conquête spatiale.
Premier spectacle, premier succès et Wolubilis s’en souvient encore. Les Crapauds fous relatait l’incroyable histoire de médecins polonais qui, durant la Seconde Guerre mondiale, ont usé de stratagèmes afin d’empêcher des milliers de déportations. La patte Mélody Mourey y est : rythme, humour, suspense, énergie. La Course des géants nous entraîne dans un nouveau tourbillon. Celui de Jack Mancini, révolté surdoué qui végète dans sa pizzeria mais qui trouvera la route des étoiles et du cosmos. Le succès est à nouveau au rendez-vous. Mélody Mourey aurait-elle le goût des héros malgré eux ? « Le thème de départ était ces rêves d’enfant qui nous animent et notre motivation à faire en sorte qu’ils se réalisent. La conquête spatiale apparaît comme le rêve le plus fou et inaccessible mais aussi comme la métaphore de l’ascension sociale du héros, vers les étoiles. » Mélody Mourey aime s’appuyer sur des faits véridiques pour créer une fiction : « J’essaye de comprendre l’histoire avec un grand H quand elle se mêle au quotidien. Dans Les Crapauds fous, le fait historique était au cœur de la pièce. Ici, c’est le contraire. J’aime décortiquer le parcours d’hommes et de femmes qui font face à l’extraordinaire. Le pire comme le meilleur peut survenir chez les gens, en fonction des choix. »
Créer avec les comédiens
Se documenter, rechercher des images d’archive à intégrer au spectacle, fait partie du plaisir d’écriture. « Une fois le sujet choisi, je lis tout ce que je trouve à son propos afin de bien poser le contexte. Pour La Course des géants, c’était passionnant de me plonger dans les journaux de bord des astronautes, de comprendre leurs missions. Je lis énormément de documents mais je ne prends aucune note. Je m’imprègne des informations reçues pour mieux les livrer lors de l’écriture. » L’auteure et metteuse en scène élabore à chaque fois une véritable troupe. « Une fois une première version aboutie, je peux commencer le casting puis les lectures avec les comédiens. Mais pendant les répétitions, je change encore beaucoup le texte. C’est bien simple, les acteurs n’ont eu la version définitive que la veille de la première ! Je cherche, jusqu’au bout, le maximum d’efficacité ou d’humour. Les comédiens me font aussi des propositions au fur et à mesure qu’ils s’approprient leur rôle. » Pour, au final, attraper le public et ne plus le lâcher. « Je pense que le public est de toute façon habitué à un nouveau rythme, de par les séries. Le théâtre a intégré ces codes. Durant mon écriture, je visualise le mouvement des acteurs et le rythme que je désire insuffler. » Six comédiens interprètent une multitude de personnages. Une particularité difficile à gérer ? « C’est, au contraire, très jouissif car ils sont en permanence sur le plateau ou en train de se préparer, il n’y a aucun temps mort en coulisses. Jordi Le Bolloc’h, le personnage principal, a le plaisir de le faire évoluer sur vingt ans. Quant aux autres, ils se réjouissent de passer du drame à la comédie. »
Comme une évidence
Habituée aux prix et aux nominations, avec cette fois le Molière 2022 du comédien dans un second rôle pour Nicolas Lumbreras, la jeune femme souffle un vent nouveau sur le théâtre. Y aurait-il une vague Alexis Michalik ? « Il a clairement ouvert la voie à une nouvelle façon de raconter des histoires. Je ressens une envie de bousculer les codes, de s’autoriser à des changements de lieux, d’époque, de multiplier les rôles… Bien sûr, ce souffle a toujours existé au théâtre mais il a sans doute rendu populaire cette faculté à imbriquer plein d’histoires différentes à un rythme soutenu. » Il s’agit de remettre l’histoire à l’avant-plan et de proposer des spectacles multigénérationnels. « C’était mon souhait de parler au plus grand nombre, même si je n’y réfléchis pas en écrivant. J’aime cette idée de m’adresser aux gens qui apprécient le théâtre comme à ceux et celles qui y vont pour la première fois. Les Crapauds fous aurait pu n’intéresser qu’un public plus âgé de par le sujet et l’époque. De voir la façon dont le public reçoit ces deux pièces me comble de joie. Le théâtre m’a appris à oser. » La pièce sera en tournée jusqu’en avril 2023. «J’accompagne la troupe de temps en temps et j’espère venir à Bruxelles. Mais je vais monter Les Crapauds fous en Grèce, avec des comédiens grecs ! A Thessaloniki. »
Mélody Mourey, un destin extraordinaire, elle aussi.
– Gilda Benjamin