“Tacoma Garage”, l’incroyable histoire des Sonics vue par un comédien belge

Par Valentin Dauchot

Publié sur lalibre.be le 15-10-2021 à 12h42 – Mis à jour le 18-10-2021 à 10h10

 

Les rockeurs de Seattle ont connu le succès à 60 ans… Quarante ans après avoir mis la clé sous la porte. Le comédien belge Corentin Skwara les a accompagnés sur la route et en tire une pièce de théâtre qu’il jouera au Théâtre de Namur du 15 au 28 octobre.

 

Début des années 60, cinq gamins de la banlieue de Seattle créent un groupe de rock’n’roll au son totalement inédit pour l’époque : guitares outrageusement saturées, batterie surpuissante, saxophone conquérant, et amplis trafiqués à la main pour rendre le résultat plus sale encore. En trois petites années et autant d’albums – Here Are The Sonics (1965), Boom (1966) et We Are The Sonics (1967) – The Sonics dynamitent littéralement la scène rock américaine depuis leur garage, avant… de disparaître. Merci et au revoir ! Les frères Parypa, Gerry Roslie, Rob Lind et Bob Bennett remettent leurs instruments au placard sans jamais avoir rencontré le succès escompté, pour devenir pilote d’avion, entrepreneur, prêteur sur gage et professeur.

Aux yeux du grand public, leur création tombe dans l’oubli. Dans le secteur, elle a marqué les esprits. Kurt Cobain les cite comme référence pour Nirvana. Jack White leur rend hommage, tout comme Eddie Vedder, Bruce Springsteen et The Hives, qui s’inspirent tous de leur son d’une manière ou d’une autre.

 

Une histoire de bagnoles

Les principaux intéressés, eux, ne s’en rendent même pas compte. À 60 ans, on les sait retraités, définitivement rangés. Mais, en 2003, une luxueuse marque de voitures a la curieuse idée de ressortir le titre “Have Love Will Travel” dans une publicité pour la télévision. Le choix est pertinent, jouissif, ce hit en puissance n’a pas pris une ride. Et voilà que, quarante ans après leur séparation, un promoteur de concerts les appelle.

 

John Weiss veut une reformation et leur offre une double date de concert dans le festival qu’il organise à Brooklyn. Réponse du quintet : “Non merci.” Les Sonics n’ont plus sorti la moindre note depuis des décennies et flairent le mauvais coup. Mais le promoteur insiste, l’idée fait son chemin, et trois des membres originaux (guitare, chant et saxophone) finissent par se laisser tenter en 2007.

 

“Les répétitions sont laborieuses mais ils y vont“, nous raconte Corentin Skwara, qui ne connaît pas encore le groupe mais croisera sa route quelques années plus tard. “Il faut imaginer la scène. Les Sonics n’étaient jamais sortis de la côte ouest, ils n’avaient jamais joué dans des grandes villes comme San Francisco, New York ou Los Angeles. Et là, à 60 ans, ils jouent devant un public de fans qui connaît les paroles de leurs chansons sur le bout des doigts.”

 

“Je peux vous filmer ?”

La suite est cousue de fil blanc : on les programme à Londres, Barcelone, Bilbao, Stokholm, et finalement Seattle, où le gratin de l’industrie musicale vient les saluer en personne. Les petites tournées s’enchaînent, la bande finit par se produire à Lessines puis Bruxelles, et débarque à Leuven en 2015.

C’est là que Corentin Skwara les rencontre. Comédien de théâtre formé à l’IAD, fan de rock émoustillé par cette histoire géniale, il va les trouver après le show et leur propose de filmer le reste de la tournée. “Je ne sais pas ce qui m’a pris, se souvient-il. Je n’avais pas le moindre matériel, aucune expérience, mais leur histoire m’a touché. Trois jours plus tard, j’ai reçu un email qui me disait ‘OK, c’est bon, tu peux les suivre en Europe.’ J’ai pris ma voiture pour aller les voir en Allemagne et aux Pays-Bas. Comme je n’avais pas assez de bonnes images, et aucune interview, je suis retourné à Dresde, puis je les ai suivis en République tchèque, en Suisse, en Autriche et en Italie. Je voulais passer du temps avec eux, savoir ce qui se passe dans la tête d’un vieux monsieur de presque 70 ans qui vit sa première tournée mondiale en jouant des tubes qu’il a composés tout gamin.”

 

Une pièce sur l’aventure

Ce soir-là, le comédien obtient enfin son interview vidéo avec les trois membres fondateurs des Sonics. Hasard de calendrier, c’est l’ultime concert donné par le groupe reformé, que le chanteur et le guitariste quittent définitivement dans la foulée.

 

Corentin Skwara veut en faire un film, qu’il peine à achever. Le documentaire reste dans ses cartons, mais il en tire une pièce de théâtre – Tacoma Garage -, qu’il présentera le 26 janvier prochain au CCU. “Ce n’est pas une création sur le parcours des Sonics en tant que tel, insiste Corentin Skwara. Plutôt l’histoire d’un mec qui s’embarque dans une aventure absurde et enchaîne les kilomètres en solitaire, pour aller rencontrer ces vieux musiciens au parcours incroyable.”