Dans les pas de « Kiki à Paris »

Par Gaëlle Moury – Le Soir, 12/11/2024 

Au disque et en concert, la mezzo-soprano Albane Carrère, la violoniste Elsa De Lacerda et la guitariste Magali Rischette s’inspirent de Kiki de Montparnasse pour un voyage libre passant de la mélodie à la chanson française.

 

Au départ, une complicité, et une envie de se faire plaisir en musique. Inspiré par Kiki de Montparnasse, modèle, peintre et icône, « symbole de la femme libérée » qui fut la muse de nombreux artistes et le modèle préféré de Man Ray (dont une photo a été choisie pour la pochette de l’album), Kiki à Paris réunit la mezzo-soprano Albane Carrère, la violoniste Elsa De Lacerda et la guitariste Magali Rischette (une formation inédite dans la « musique savante »). Un projet construit en millefeuille autour de « trois instruments nomades et libres, à l’image de Kiki », qui en symbolise la démarche, où les musiciennes explorent un répertoire allant de la musique classique à la pop en passant par un tas de registres de la chanson française (Fauré, Poulenc, Barbara, Piaf…) sur des arrangements de Jean-Luc Fafchamps. Pour parler aussi de l’évolution du monde. Focus sur cinq des territoires musicaux explorés.

 

1. Jane Birkin

C’est sur « Quoi », titre originellement interprété par Jane Birkin que s’ouvre le disque. Un choix qui mêle finalement avec naturel les différents univers, comme l’explique Albane Carrère. « Gainsbourg utilisait beaucoup Chopin. On sent le classicisme qu’il y a dans ses compositions. On sent que cette équipe utilisait le classique pour composer de la pop et on fait presque un peu l’inverse. Puis le texte est magnifique. Ce choix a donc à la fois été dicté par l’amour du texte, de l’artiste. »

 

2. Debussy

« J’adore les Trois chansons de Bilitis depuis que je les chante », dit Albane Carrère. « J’avais très envie de les chanter différemment de ce qu’on entend toujours. C’est incroyable comme ça fonctionnait avec la guitare. Ça transporte dans une dimension autre et en même temps similaire. » « Déjà chez Claude Debussy, il y a une grande sensualité de la femme », continue Elsa De Lacerda. « C’était un lien parfait pour aller vers les icônes, le désir… »

 

3. Hoshi

« Pour nous c’était très important qu’il y ait une chanteuse jeune dans le projet, plus jeune que nous », explique Elsa De Lacerda en parlant de « Et même après je t’aimerai ». « Ça ouvre la porte à des réflexions qui n’ont peut-être pas été les nôtres quand on avait 20 ans mais qui devaient absolument être sur le disque. » « C’est un peu de fraîcheur aussi », remarque Magali Rischette. « Venant du classique, on aime se spécialiser dans des domaines et chaque fois, ça devient plus pointu. Finalement, ici, au fur et à mesure de l’évolution des répertoires, on se rapproche des nouvelles générations. Et c’est important d’avoir conscience de cette génération qui a des choses à dire aussi. »

 

4. Brigitte Fontaine

« Dans « Conne », Brigitte Fontaine est complètement déjantée, explosive et c’est génial », sourit Albane Carrère. « C’est aussi l’incarnation de toutes les injonctions qui nous sont renvoyées à tous moments de notre vie sur la beauté, la maternité, le fait de prendre soin de soi, d’être polie… », pointe Elsa De Lacerda. « Elle fait tout sauter et c’est jouissif parce que je pense que ça parle à toutes les femmes même si elles n’oseront jamais être Brigitte Fontaine. »

 

5. France Gall

« C’est assez formidable de chanter “Résiste” dans les années 1980 et de se dire que c’est toujours aussi actuel », dit Elsa De Lacerda pour évoquer le morceau qui conclut le disque. « Il y a une simplicité chez France Gall qui n’est pas du tout dans un rapport ni intellectuel ni revendicateur. En fait c’est un message direct et c’est pour ça que cette chanson est extraordinaire. Elle est intemporelle, elle le sera toujours. Et en même temps on est dans de la mélodie, composée par Michel Berger, vrai génie de la langue, de son rythme, de sa musique. C’est le tube parfait qui est à la fois léger et d’une force extraordinaire. » Un combo parfait, où les musiciennes chantent toutes, avec des percussions, notamment corporelles, dans la lignée de ce que peut faire une chanteuse comme Camille. Une prise de risque, mais en même temps une forme de libération. « Quand on change d’instrument, on se met à nu après tout ce qu’on a déclaré », conclut Magali Rischette. « Mais on résiste et on veut continuer sur cette voie. » A l’unisson, comme une forme de réunion ultime.